Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/426

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aussi M. de Bismarck, si peu conciliant à l’ordinaire, conseillait-il à Victor-Emmanuel et à Pie IX la conciliation. Il ne voulait ni demander que les garanties tussent élargies, ni se mêler « du droit ecclésiastique intérieur » du royaume italien ; mais, en termes vagues et impératifs à la fois, il réclamait pour le saint-siège « une position indépendante et digne. » Il n’offrait pas asile au pape dépossédé, et cependant il ne le repoussait pas. S’il prêterait le voir rester à Rome, c’était surtout parce que les embarras de la politique prussienne n’en seraient nullement diminués. À part cette considération, la fortune eût été enviable : avoir dans l’Allemagne triomphante, dans le saint-empire reconstitué du coup et de ce coup complet :


Ces deux moitiés de Dieu : le pape et l’empereur !


Mais M. de Bismarck n’est pas poète ou ne l’est qu’à sa manière, et à ses heures, quand il n’a rien de solide à y perdre. Il rêve comme il fume, — après dîner. — Ici, le péril était trop évident. Pie IX réfugié en Allemagne, c’était le gouvernement impérial prisonnier non-seulement des catholiques exigeans, mais des protestans soupçonneux et des libéraux blessés. Plutôt un congrès à Fulda ou même une procession à Munich, l’archevêque en tête et, derrière, tous les paysans d’alentour, expressément appelés pour marquer leur indignation ! Plutôt des souscriptions publiques pour organiser une croisade de Rome, et des pétitions, longues de huit mètres, comme celle qui, dans ce moment, en Hollande, à La Haye, se couvrait de signatures !

Le gouvernement bavarois ne prenait part ni aux souscriptions, ni aux processions. M. de Bismarck se réservait, voyait et entendait tout, clignait de l’œil tour à tour à droite et à gauche. À Munich on feignait de ne rien voir et de ne rien entendre. Quand le ministre d’Italie, M. Migliorati, questionnait, interrogeait : « Que ferez-vous si nous allons à Rome ? » on lui répondait aussitôt : « Nous refusons péremptoirement l’exequatur au dogme de l’infaillibilité. » Plus tard, le 20 septembre venu, quand il voulut demander : « Que pensez-vous de l’occupation de Rome ? Comment la supporterez-vous ? — Nous nous réjouissons, lui dit-on, qu’elle ait pu se produire sans plus grande effusion de sang. » Le subtil Italien en était tout décontenancé ; il sentait bien que l’adversaire rompait, cherchait sous ses pieds une trappe ou un panneau mobile dans la muraille. — Enfin ! le gouvernement bavarois, occupé, lui aussi, à la guerre contre la France, ne tournait vers Rome que des regards distraits et ennuyés : lui aussi, il avait à se garder des cléricaux qui formaient dans le parlement bavarois une minorité