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représentait en entendant le mot cause ; et le métaphysicien, s’étant soumis à l’épreuve, fut fort étonné de s’apercevoir qu’il ne se représentait rien du tout.

L’enquête de M. Ribot, ayant été faite oralement, sur des personnes connues, offre toutes les garanties désirables de sincérité. Mais on peut se demander, à propos d’autres recherches de nature analogue, s’il n’existe point quelque critérium de la vérité psychologique. La psychologie descriptive n’a pour méthode que l’interrogation, la causerie, ou la question écrite ; comment peut-on savoir que l’on n’est pas trompé par la personne qu’on interroge ? et celle-ci ne peut-elle pas se tromper elle-même ? Cette crainte de la simulation est une de celles qui m’ont le plus souvent tourmenté. J’ai longtemps, pour ma part, cherché une pierre de touche ; je me suis convaincu peu à peu que, lorsqu’on ne fait pas de psychologie avec des appareils qui, par leur disposition même, servent de contrôle aux expériences, la garantie se trouve dans l’accord des observations. Lancez un questionnaire et attendez les réponses ; si dans ces réponses vous en trouvez vingt, cinquante, cent, qui contiennent la même affirmation, écrite presque dans les mêmes termes, vous pouvez avoir confiance ; cette affirmation répétée et rebattue, qui fait l’effet d’un lieu-commun, est certainement importante ; elle doit contenir une part de vérité ; on peut la conserver précieusement. Méfions-nous, au contraire, du fait rare, accidentel, qui ne se rencontre qu’une fois.

Tel est, à mon avis, le principe qu’il faut suivre constamment dans les recherches de psychologie ; la concordance des observations est pour nous le meilleur critérium de la vérité.

Cette garantie, dans quelle mesure est-elle présentée par la communication de M. Gruber ? C’est un point délicat que je voudrais bien mettre en lumière ; je ne cherche nullement à diminuer l’intérêt de cette dernière communication ; je vise un peu plus haut, trouvant ici une occasion pour développer une question de principe.

M. Gruber (de Roumanie) s’est fait connaître par des études intéressantes sur ce curieux problème de l’audition colorée, auquel nous avons consacré récemment un article de la Revue ; on se rappelle la nature bizarre de ce phénomène d’association entre des sons et des couleurs ; il est des personnes, avons-nous dit, qui, dès leur première enfance, ont l’habitude de colorer les sons, c’est-à-dire d’associer certaines idées de couleurs, toujours les mêmes, à certains sons. Sur la nature exacte et la cause de cette association, les auteurs discutent et discuteront longtemps encore ; pour notre part, il nous a semblé que ceux qui ont de l’audition colorée appartiennent ordinairement au type visuel, et que le