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habilement, c’est possible ; ce n’est pas précisément la question. Il n’est pas moins évident que le gouvernement n’a cessé de louvoyer dans sa marche, subordonnant ses initiatives à des influences inexpliquées, que s’il a mis la justice en mouvement, il l’a tour à tour activée ou ralentie selon les circonstances, qu’il a paru quelquefois chercher des coupables hypothétiques en essayant de faire oublier des personnages plus réellement compromis ; il est clair enfin qu’il a trop souvent confondu l’action judiciaire et la politique ou l’intérêt de parti. Et à quoi cela a-t-il servi ? On n’a sûrement réussi à rien empêcher ou à rien détourner. On n’a fait qu’amasser les obscurités et les confusions, préparer des complications nouvelles, laisser à l’opinion le temps de s’impatienter et de s’aigrir, éveiller partout cette impression que le gouvernement avait quelque chose à cacher, qu’il devait avoir quelque intérêt à ne pas tout livrer, à garder ses secrets. La confiance a diminué dans le public, qui a fini par tenir pour suspect tout ce qui se faisait, tout ce qui se disait, et ne plus attendre la lumière que de l’imprévu. On en est venu à se défier de tout, à ne plus croire à rien de ce qui vient du monde officiel.

Tenez, pas plus tard que ces jours derniers, au cours de ce procès qui se déroule devant la cour d’assises de Paris, trois ou quatre personnages de la république, M. Floquet, M. Clemenceau, M. Ranc, M. de Freycinet lui-même, ont comparu comme témoins. Ils ont eu à déposer au sujet d’une circonstance où ils sont intervenus pour prévenir ce qu’ils ont appelé un scandale, l’éclat d’un procès qui menaçait la compagnie de Panama et qui pouvait, ont-ils dit, nuire à l’intérêt public, ou pour mieux dire « au parti républicain. » Leurs explications ont été ce qu’elles ont pu ; elles ont été reçues avec un scepticisme visible, elles ont paru énigmatiques. On n’a pas mis en doute l’intégrité personnelle des témoins ; on s’est demandé avec quelque surprise ce que signifiait cette intervention motivée par une crainte de scandale, quel intérêt d’état il y avait à prévenir un procès que les chefs de la compagnie de Panama ne redoutaient pas, — à moins que ce procès ne pût dévoiler déjà, dès 1888, les scandales parlementaires qui éclatent aujourd’hui. Rien n’a été bien éclairci, le doute est resté ! — On sortait à peine de ces explications qui n’ont rien expliqué lorsqu’a éclaté à l’improviste un autre incident foudroyant et pathétique qui a été un vrai coup de théâtre : la déposition d’une personne distinguée, femme d’un des administrateurs de Panama, Mme Cottu.

De cette déposition émouvante, il résulterait que dans un entretien auquel Mme Cottu aurait été appelée avec le directeur de la sûreté générale, des ouvertures au moins étranges lui auraient été faites. On lui aurait laissé espérer des avantages, des adoucissemens pour son mari, pour les administrateurs de Panama, s’ils savaient se faire ; on l’aurait pressée, elle, personnellement de dire ce qu’elle savait, de