1851, ministre neuf mois à peine, sous une république qui se précipitait déjà vers l’empire ; mais dans ce court passage au pouvoir il avait fait assez pour révéler les dons brillans de l’homme d’État, pour attacher son nom à quelques-uns de ces actes ou de ces mots décisifs et tranchans qui marquent dans l’histoire, pour rester une des figures les plus expressives du monde religieux et conservateur à un moment du siècle. M. de Falloux s’est dépeint ou raconté lui-même dans ce livre des Mémoires d’un royaliste dont il a voulu faire son testament, — où, à la vérité, il brouille quelquefois un peu les noms, les dates et les impressions, où il revit cependant tout entier avec son originalité aux mille nuances.
Ce qu’il a été réellement, ce qu’il reste, c’est un royaliste à coup sûr, mais un royaliste et un catholique qui ne s’est pas refusé le plaisir un peu hautain de se parer de ses disgrâces auprès de son prince comme auprès du pape ; un plénipotentiaire raffiné et libre de la royauté et de l’église dans leurs malheurs ; un politique alliant la souplesse à la résolution, la bonne grâce à la fierté, les dons de la séduction à l’art de lancer le trait acéré dans les polémiques ou dans les discours, aimant l’influence plus que le pouvoir, passant sans effort de la vie publique ou de la vie mondaine à la vie rurale : et à travers tout, un valétudinaire incorrigible, — qui a vécu soixante-quinze ans sans cesser un jour de combattre, même dans sa retraite, — même après sa mort, par ses Mémoires !
Chaque période de ce siècle éprouvé a eu son esprit, sa représentation vivante, ses hommes qui, à travers les diversités de physionomie et de génie, ont gardé, pour ainsi dire, un air de famille, l’air du temps où ils ont vécu et grandi. Je ne parle pas seulement de l’Empire, dont les hommes, fils de la Révolution, disciplinés par un maître, ont été avant tout des fonctionnaires et sont restés dans l’histoire sous la figure du général ou du conseiller d’état. La restauration, née pour réconcilier les vieilles traditions et une société nouvelle, a eu son monde d’élite, politiques, publicistes, parlementaires : les Chateaubriand, les Royer-Collard, les de Serre, les Hyde de Neuville, les Martignac, les La Ferronays, tous marqués à l’effigie d’une époque de renaissance monarchique et libérale. La monarchie de juillet, œuvre d’une commotion populaire et d’une scission de famille, a eu, elle aussi, ses hommes faits pour la personnifier et la servir, les Casimir Périer, les Broglie, v les Thiers, les Guizot, les Rémusat, les Tocqueville, qui ont eu, dans ces dix-huit années, leur cadre naturel. C’est la fortune de M. de Falloux de représenter une génération qui n’a pas eu son