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invoquait la jeunesse et l’inexpérience du prince, le danger de l’exposer à une conversation scabreuse. On fit une réponse évasive. On avait peur de se commettre avec un frère de l’empereur, — de même qu’on avait éloigné un officier de la vieille armée napoléonienne, le général Vincent, qui avait été un instant appelé auprès de M. le comte de Chambord pour des études militaires et qui portait sans doute un nom trop moderne. Le duc de Lévis, par son influence de tous les jours, comme le duc des Cars, par ses conseils, restaient auprès du prince les défenseurs ou les gardiens de la pure orthodoxie monarchique. C’est une des faces de la politique légitimiste du temps.

D’un autre côté cependant, il y avait en France des royalistes à l’esprit plus libre, qui ne croyaient ni aux prises d’armes, ni aux complots, ni à l’efficacité des abstentions systématiques, ni même à la vertu des étiquettes surannées, faites pour défigurer une royauté qu’on espérait encore voir renaître. Il y avait des hommes comme Chateaubriand, Hyde de Neuville, Vatimesnil, Berryer, le duc de Fitz-James, qui quittait le Luxembourg pour aller défendre sa cause au palais Bourbon. Ceux-là avaient le sentiment profond des nécessités et des conditions des sociétés modernes. Ils avaient jugé sévèrement le coup d’État des ordonnances de Juillet ; ils pensaient que désormais tout avait changé, que la meilleure politique était de ne pas déserter la lutte légale, d’être de son temps et de son pays, de chercher à reconquérir l’opinion.

Je ne parle pas de Chateaubriand qui, en gardant sa fidélité à l’exil, se dédommageait par des boutades de génie et semblait faire ses adieux à la monarchie dans des morceaux tels que l’Avenir du monde, où il prophétisait le règne de la démocratie. Le loyal et chevaleresque Hyde de Neuville pouvait se croire personnellement lié par son passé, par l’honneur, à la monarchie en disgrâce et obligé de refuser un serment au régime nouveau ; il ne décourageait pas, il ne blâmait pas ceux qui croyaient devoir rester dans la vie publique, et il écrivait à la duchesse de Berry dès le début de sa campagne vendéenne : « On trompe Madame et on l’abuse ; ., que Madame daigne m’écouter. Personne n’a plus que moi dans le cœur l’amour du grand, du noble, mais il s’agit ici de faire de l’histoire et non du roman. Je vois la France telle que la Révolution l’a faite ; c’est sur elle qu’un jour Henri V doit régner, et c’est elle qu’il faut soigner, c’est elle qu’il faut guérir… » Berryer, pour sa part, en homme de grand jour et d’action publique, n’avait point hésité, dès le premier instant, à prendre son parti, à se séparer des conspirations aussi bien que de ce qu’il appelait « l’émigration à domicile. » Il l’avait écrit à M. Hyde de Neuville : « Je suis bien profondément convaincu qu’il n’y a d’avenir que pour les partis