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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/514

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qui vivent et prennent position. Le temps des guerres civiles est passé en France ; la discussion est le seul champ clos des prétendans ; il faut s’y montrer et prendre ses engagemens envers le pays… Il est impossible qu’en persistant avec fermeté dans l’exercice et l’indépendance de nos droits, nous ne reprenions pas place dans la confiance publique… » Et comme il le disait, il le faisait, tenant tête sans jactance et sans faiblesse à la mauvaise fortune, ramenant au combat une cause vaincue, captivant ses adversaires eux-mêmes par la loyauté de sa parole et par l’éclat avec lequel il traitait les affaires de la France sans rien sacrifier à l’esprit de parti. Il ne se défendait pas même, à l’occasion, de faire justice à ceux des ministres du nouveau règne qui servaient quelque intérêt national, permanent du pays, — allant un jour jusqu’à paraître l’allié de M. Thiers, un autre jour jusqu’à oublier ses griefs personnels pour défendre M. Guizot dans un acte de sa politique. Il était devenu sa réellement cette « puissance » que M. Royer-Collard avait saluée à première apparition. Berryer est resté une des personnifications les plus éclatantes de l’action parlementaire sous le régime de Juillet, le chef et le guide le plus populaire d’une opposition qui, en atteignant une dynastie, savait rester dans la légalité et dans la mesure. On était un peu loin de M. des Cars et de M. de Lévis !

De sorte que M. le comte de Chambord, à peine émancipé, déjà enlacé de toute sorte d’influences, de tradition, de position, se trouvait de plus assailli de toutes parts dans son exil : c’est M. de Falloux qui le raconte. Les uns lui disaient : « Tout est perdu si vous n’accordez pas pleine confiance au duc des Cars et si vous ne découragez pas résolument cet esprit libéral qui a fait sombrer la restauration. » Les autres reprenaient : « Tout est perdu si vous ne faites pas de M. Berryer le vrai représentant de votre pensée, le programme vivant de votre règne futur ! » M. le comte de Chambord, dans sa sincérité, hésitait, — il ne s’est jamais décidé ! Il essayait un instant de choisir des délégués dans les deux camps, de former à Paris un comité mixte, qui, naturellement, comme tous les comités ainsi composés, ne pouvait s’entendre sur rien et ne tardait pas à se dissoudre. L’aimable et malheureux prince tenait, un peu peut-être de sa nature et sans doute aussi de son entourage, dès sa jeunesse, « ce genre de timidité qui donne la clé des défauts devenus plus tard des calamités publiques. »


V

C’est dans ces conditions, dans cette atmosphère que M. de Falloux avait grandi et qu’il s’était formé à la politique, mêlé à ces