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Au-dessous, tout le paysage biblique se développe, çà et là brodé de gris par les oliviers légers. Mais devant nous, sur ce fond triste et grandiose, le peuple des gens et des bêtes fait un premier plan de vie colorée. D’humbles ânes attendent patiemment qu’on les décharge, des chameaux agenouillés somnolent ou grognent, des vieillards sordides dans la majesté de leurs barbes et de leurs turbans fument en cercle des narghilés, des paysannes assises par terre devant des piles de fruit attendent les acheteurs. Ces groupes résignés tonnent un paisible cadre à l’affairement de tout le marché : on soupèse des poules, on mesure des boisseaux de blé ; une petite fille qui est déjà une mère allaite une infime larve jaune, emmaillotée de jaune qui presse le lourd sein veiné, avec des mouvemens de petite bête aveugle, de jeune chat naissant. Les costumes rappellent beaucoup les bigouden de Pont-Labbé. Mêmes broderies d’or sur les corsages, mêmes bonnets en cônes tronqués, mêmes toques massives, couvertes de métal, chargées de pièces d’argent, donnant aux femmes une allure fastueuse et pesante d’idoles barbares.

Beaucoup de figures sont d’une admirable pureté, d’une noblesse virginale de profil. Et cela n’est pas seulement un hasard des lignes ou bien un trait physique de race. Il y a beaucoup d’honneur et de dignité dans la vie de ces paysans ; les fortes traditions les maintiennent debout, les empêchent de dévier hors de la forme saine. Tout récemment encore, nous dit un religieux, quand une fille avait fait une faute, il n’était pas rare de la trouver assassinée quelques jours après.

Il faut bien entrer dans la basilique qui est d’un très grand intérêt pour les archéologues, puisqu’elle est la plus vieille église chrétienne et qu’elle remonte probablement à Constantin. On y retrouve les prêtres grecs, avec les icônes métalliques, les longs cierges historiés, les autels surchargées de raides figures byzantines. On y retrouve les Arméniens et les Coptes, et les impassibles soldats turcs qui maintiennent, le fusil sur l’épaule, la paix dans ce petit monde de moines querelleurs.

Dans l’abside que les Grecs possèdent et que leur jalousie a entourée d’un mur, on peut voir d’antiques et belles mosaïques, toutes grises sur un fond d’or éteint par le temps, figures du premier art chrétien qui s’étirent, s’allongent avec une pureté pâle, une lenteur religieuse de geste, une intensité d’idéalisme qui font penser aux premières fresques italiennes. Surtout, on est ému de songer que ces images, qui datent de 327, représentent déjà les sujets chrétiens que notre monde à nous, Gaulois, Latins, Germains ou Slaves, a découpés dans la légende comme les plus sacrés, n’a cessé d’évoquer et de peindre à genoux : le Sauveur entrant