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l’architecte florentin pour les projets du nouveau Saint-Pierre, et son ascendant alla, depuis, toujours en grandissant. Malgré son attachement véritable pour San-Gallo, Jules II n’était pas homme à lui sacrifier toutes ces magnœ moles dont le génie de Bramante venait de lui ouvrir les radieuses perspectives : il y avait harmonie préétablie entre le Rovere et le Rovinante.

Quel spectacle alors que celui de ces deux vieillards, de ces deux valétudinaires, — en moins de dix ans, ils seront descendus dans la tombe l’un et l’autre, — se traçant aussitôt le programme de Saint-Pierre, de San-Biagio et du Belvédère à la fois ! Et que ce programme résume bien les pensées maîtresses, les tendances souveraines de l’époque !… Car si la nouvelle basilique est appelée à devenir le sanctuaire « le plus beau et le plus magnifique » de la chrétienté, — « à surpasser même le fameux temple que les Grecs, anciennement, ont élevé à leur Diane d’Éphèse, » comme le dira bientôt le chanoine Albertini, dans ses Mirabilia ; — si San-Biagio (via Giulia, sur les bords du Tibre) doit concentrer dans ses murs tous les pouvoirs publics de la ville éternelle, Offices, tribunaux, etc., et représenter le palazzo governativo par excellence ; — le Belvédère, de son côté, avec ses vedute enchanteresses et qui justifient si bien son nom, avec sa collection incomparable de statues antiques, avec ses loggie que décoreront les peintres les plus renommés du siècle, avec son théâtre enfin en plein air pour les spectacles, fêtes et carrousels, va réunir dans sa vaste enceinte tout ce qui peut réjouir les regards d’un mortel : or, religion, pouvoir et jouissance, n’est-ce pas là tout le credo et symbole du rinascimento ?… Pour chacune de ces constructions gigantesques, Bramante imagine une architecture différente et originale, Dans son projet de basilique, il entend remplacer le principe jusque-là dominant du rectangle, de l’édifice à longue nef, par le principe presque nouveau (eu égard à la grandeur des proportions et à la rigueur de l’application) du cercle, de l’édifice à dôme central. San-Biagio, en revanche, sera un bâtiment carré avec un rez-de-chaussée aux bossages formidables, pareils à ceux du palais Pitti, et deux étages à colonnes engagées ; quatre tours rustiques occuperont les angles ; une cinquième, plus haute, surmontera l’entrée principale[1]. Quant au Belvédère et aux galeries qui le rattacheront avec le palais Vatican, l’artiste y épuisera toutes les combinaisons que lui ont suggérées les ruines colossales de

  1. San-Biagio, on le sait, n’a pas été achevé. Les dernières traces de la construction (les fondemens aux puissans bossages) viennent de disparaître tout récemment à la suite des travaux entrepris le long du Tibre.