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n’a sans doute pas connu. Il réunit, par la force de son génie propre et par l’influence de son temps, une simplicité qui peut aller jusqu’à la grandeur et quelquefois une recherche voisine de l’afféterie. Un contraste analogue lui fait mettre la réalité et la vie dans des cadres et dans des moules artificiels. Les pièces à refrains et les chants amœbées donnent surtout lieu à cette observation ; il y a dans toutes les idylles des effets de rythme et une science technique qui rappelle de loin l’ancien lyrisme et est tout imprégnée d’une délicatesse alexandrine. Ce mélange de naturel et d’art raffiné forme le caractère propre de Théocrite.

En adoptant pour la plus grande partie de son œuvre ce nom de mimes qui lui convient, on doit faire une distinction entre deux classes de poèmes : les poèmes champêtres et les mimes proprement dits. Au sujet de la première classe, on me permettra de renvoyer à une étude qui a été faite ici même[1] et de passer vite sur l’appréciation. J’insisterai seulement sur ce fait, que ces poèmes champêtres sont une forme du mime. Ce sont, en effet, de petites scènes de la vie pastorale ou de la vie rustique ; et, de plus, les premiers modèles, — même avec une partie des conventions et des formes du genre, en particulier les lois du chant alterné, — ont été pris dans les rivages, les campagnes et les vallées de Cos, de la Sicile et de la Grande-Grèce : bien curieux exemple de ce que fut en Grèce l’éclosion naturelle de la poésie. Dans cette patrie des Muses, toute poésie a ses racines dans la vie réelle et dans les mœurs ; et quand, à la fin d’une immense production de six ou sept siècles, une forme nouvelle paraît au jour, elle se rattache encore aux réalités de la vie pastorale. Quelle distance un pareil fait n’établit-il pas entre la pastorale grecque et la pastorale moderne, et même entre Théocrite et Virgile ! On pourrait soutenir que Virgile, imitateur de Théocrite, est plus alexandrin que son modèle. Il va de soi que l’élaboration de l’art, commencée par Philétas, le maître de Théocrite, est chez celui-ci considérable. Nous venons d’indiquer les points principaux sur lesquels a porté ce travail poétique. Le résultat n’est peut-être pas précisément, comme le disait Sainte-Beuve, une demi-vérité dans la peinture de la nature et des mœurs ; c’est plutôt une vérité variable, dont le degré est déterminé par la conception du poète et par le genre d’impression qu’il veut produire. Ces pièces, auxquelles la langue, le dialecte, la coupe des vers, le goût descriptif et le caractère des descriptions donnent un air de famille, sont loin de se ressembler complètement. Quelle différence n’y

  1. La Pastorale dans Théocrite, 15 mars et 1er mai 1882 ; articles reproduits dans mes Études sur la poésie grecque.