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a-t-il pas, malgré le rapport de sujets, entre la troisième idylle, celle qui est intitulée Amaryllis, d’une rusticité si délicate, si ingénieusement gracieuse et naïve, et cette composition du Cyclope, si grande et si passionnée dans ses principaux traits !

Arrivons aux mimes proprement dits, les seuls dont on puisse rapprocher les poèmes d’Hérondas. Ce sont de petits chefs-d’œuvre, où le sens dramatique et pittoresque prend dans de légères esquisses la forme la plus vive, la plus spirituelle, la plus expressive. Bien qu’ils soient fort connus, je ne craindrai pas d’en donner des analyses et des citations : il faut en avoir les détails présens, pour se former quelque idée de ce que vaut le mimographe qui a succédé à Théocrite.

Le mime qui peut être pris pour type du genre, et auquel chacun pense d’abord, c’est l’idylle des Syracusaines, celle où il y a le plus d’esprit, de mouvement et de variété. On se rappelle quel en est le sujet. Deux Syracusaines, Gorgo et Praxinoa, domiciliées avec leurs maris à Alexandrie, vont voir ensemble la fête d’Adonis que la reine Arsinoé, sœur et femme de Ptolémée II, fait célébrer dans la cour de son palais. Elles partent de la maison de Praxinoa, où Gorgo s’est fait attendre, retardée par l’embarras des rues et par la longueur du chemin, car elles habitent loin l’une de l’autre : le mari de Praxinoa, dit celle-ci, « cet être malicieux, l’a logée exprès dans un trou, au bout du monde, pour la séparer de son amie. » Aussitôt celle-ci arrivée, elle s’apprête en toute hâte, bousculant la femme qui l’aide à sa toilette, échangeant avec Gorgo des médisances sur les maris absens, lui racontant la confection d’un beau manteau, qui tout à l’heure courra de grands risques dans la foule. Enfin elle est en état de partir ; elle calme son enfant, qui pleure pour être emmené, fait ses recommandations de maîtresse de maison : que la servante fasse rentrer le chien, qu’elle ferme la porte de la cour ; et voilà les deux compagnes dans la rue, chacune avec une esclave. Elles sont d’abord tout étourdies par le tumulte et le fourmillement de la multitude ; mais elles se lancent intrépidement et elles arriveront au but après des incidens divers. Un des chevaux de guerre du roi se cabre et fait peur à Praxinoa, car « ce qu’elle craint le plus au monde depuis son enfance, c’est le cheval et le froid serpent. » Elles croisent une vieille femme qui revient du palais : « Entre-t-on facilement, ma mère ? — En essayant, les Grecs sont entrés à Troie, mes belles filles ; en essayant, on vient à bout de tout. » — La vieille est partie après avoir débité ses oracles. À l’entrée de la cour du palais, la presse augmente : « Ils se serrent comme des porcs, » dit Praxinoa dans son libre langage. Elle rallie tout son monde près d’elle, pousse avec les autres, non sans dommage pour ses vêtemens, et,