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l’idée de cette grande ville où se pressent, avec les Égyptiens, des Grecs de toute provenance. Il est seulement à remarquer que les types africains ne figurent pas dans le tableau et que le poète, pour être resté exclusivement Grec, s’est privé d’un élément pittoresque. Du moins, nous nous représentons bien l’appareil et le luxe oriental de cette monarchie hellénique. Le chant d’Adonis, que nous entendons, fait paraître à nos yeux toute la magnificence de la fête. L’or, l’argent, l’ébène, l’ivoire, la pourpre décorent les lits d’Adonis et de Cypris ou brillent dans tout ce qui les entoure. Les objets consacrés par le culte, symboles et délices de cette vie d’un jour rendue au héros syrien, s’embellissent et se transforment par des inventions et des recherches ingénieuses. Des corbeilles d’argent enferment les jardins traditionnels, nés de la veille et destinés à mourir avec lui. Des fioles d’or contiennent les parfums de Syrie. Les pâtisseries, qui sont servies avec des fruits de toute espèce, prennent la forme d’animaux « qui marchent et qui volent. » Au-dessus de bosquets d’anis, voltigent de petits amours. Le lit d’Adonis est orné d’aigles en ivoire « portant à Zeus son jeune échanson. » Enfin ce chant, dit par une chanteuse de métier, qui, dans une cérémonie bien réglée, remplace les lamentations passionnées que faisait entendre, aux anciennes Adonies, chaque femme sur la terrasse ou devant la porte de sa maison, réserve leur place aux flatteries en l’honneur de la reine Bérénice, devenue immortelle, et de sa fille, la reine Arsinoé, « pareille à Hélène. » Nous voilà bien loin de la libre Grèce et de ses petites et glorieuses cités. Quelques traits suffisent ainsi à Théocrite pour étendre et agrandir ses peintures. On sait que c’est l’art des grands écrivains de l’antiquité.

Avec les Syracusaines, on peut ranger parmi les mimes quatre autres idylles : les Pêcheurs, l’Amour de Cynisca, le Jeune bouvier et les Magiciennes. Dans la dernière seule, plus étendue, le poète a déployé toutes les ressources de son talent ; mais les deux premières sont charmantes, et la plus charmante peut-être est l’idylle des Pêcheurs, dont on a voulu, pour des raisons qui ne me paraissent pas décisives, enlever à Théocrite la paternité.


Deux vieux pêcheurs étaient couchés ensemble et dormaient dans une cabane de branches entrelacées, étendus sur un lit d’algues, appuyés contre le mur de feuillage. Auprès d’eux étaient les instrumens de leur travail, les paniers, les roseaux, les hameçons, les appâts tout couverts d’herbes marines, des lignes, des nasses, des labyrinthes en jonc, des cordelettes, les avirons, la vieille barque sur ses étais ; sous leurs têtes une petite natte, avec des vêtemens et des bonnets. C’était toute la vie des pêcheurs, c’était toute leur richesse. Au seuil, il n’y