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de Californie, sans avoir rien autre sur lui qu’un lorgnon, avec lequel il allumait du bois sec au soleil.

Le pays que parcouraient ces excursionnistes était inconnu, tout à fait inexploré ; ils faisaient une découverte en Amérique. Quelquefois ils croisaient sous les arbres un squelette jauni : c’étaient les restes de quelque chasseur aventureux massacré par les Indiens. La nuit, il fallait allumer de grands feux et faire veiller deux sentinelles pour jeter l’alarme à l’approche des lions ou des Sioux.

Telle était cette région ignorée il y a vingt-deux ans. En 1877, une bande de Pieds-Noirs, commandée par les chefs Miroir et Oiseau Blanc, massacra dans son campement une société de huit touristes sur les bords de la Firehole. Aujourd’hui, tout ce pays est sillonné de routes que parcourent en tous sens plus de 15,000 touristes chaque été. Ils y trouvent des hôtels suffisamment confortables, éclairés à la lumière électrique, des attelages, des relais, un service qui sur certains points ne laisse rien à envier à la Suisse, la poste, le télégraphe, des routes entretenues, des voyageurs venus du monde entier, et les dames font trois toilettes par jour.

Il faut quelque raison pour expliquer un changement si profond dans l’aspect d’un pays naguère barbare, inconnu, fréquenté seulement, à de rares intervalles, par des bandes de Peaux-Rouges, de Pieds-Noirs ou de Nez-Percés : or, ici, les raisons ne manquent pas, sur cette terre merveilleuse, ce Wonderland, ce pays de fantasmagorie gigantesque et de prodiges tels, qu’en aucun point, sur toute la surface du globe, on ne lui saurait rien comparer.

Depuis longtemps on savait, par les récits des trappeurs échappés à la poursuite et aux flèches des Indiens, qu’il se passait des phénomènes invraisemblables à l’intérieur d’un immense cirque de montagnes presque infranchissables, dans le far-west. Le soir, assis devant le feu du bivouac, ils faisaient aux cowboys effrayés des récits féeriques, où des rivières glacées devenaient subitement bouillantes par le frottement, où des montagnes de verre portaient des forêts pétrifiées, où l’on voyait des palais et des temples magnifiques, avec des festons de perles et des tours dentelées, des fournaises fumantes, des chaudières bruyantes, des murailles d’or, des terrasses de marbre et d’onyx. Que penser de ces merveilles, si l’on songe qu’ici l’imagination des sauvages a embelli à peine la réalité ?


I

Les sources chaudes du Mammouth présentent le plus étonnant ouvrage d’architecture naturelle. On n’y a découvert aucun