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soleil, des teintes roses aux nuages de sa buée. Là, c’est Arthémis, un bassin aux eaux tièdes et irisées ; en voici un autre, dont l’eau pure prend, sur le fond coloré de son bassin, tous les tons d’une gelée de groseilles. La Gloire du matin semble être vide, tant l’eau est pure, calme, transparente, offrant aux regards tous les détails éclatans et chatoyans de son entonnoir féerique, que perce, tout au fond et très loin, un trou noir. Tant de sources, tant de geysers, de cratères, de mares, de fumerolles, de solfatares finissent par fatiguer. On se lasse des merveilles même.

L’excursion au bassin Supérieur est la dernière journée de geysers : elle n’est pas la moins piquante. Par une sorte de coquetterie, la nature prend soin de varier ses effets pour soutenir l’intérêt et prévenir la satiété. Au lieu du pays plat dont nous sortons, nous trouvons ici les geysers à bourrelets, à cheminées, à constructions ; ils crèvent çà et là la croûte blanche des collines, les plis vallonnés de ce plateau accidenté. Celui-ci, c’est la Grotte, un curieux roc tourmenté, percé de trous, de galeries, d’arcades, tout embrumé de vapeur, et dressant vers le ciel, comme un moignon menaçant, une basse colonne de pierre. Cet autre, qui a l’air d’un donjon défoncé et rasé par le milieu, c’est le Géant dont les explosions terribles, tous les six jours, font un tremblement de terre. Partout on rencontre des cuvettes percées au fond, pleines d’eau dorée par les reflets des parois, et veloutées par les légers nuages de vapeur qui dansent à leur surface, comme au-dessus d’une bassine de distillateur. La Rivière aux trous à feu traverse tout cet enfer, insouciante et ignorante de tant de phénomènes, aussi froide et aussi calme que si elle coulait en pleine prairie. Parfois sa berge est crevée par un jet d’eau chaude : elle le reçoit, fume quelque temps, le refroidit, et poursuit son cours. Sur ses bords, es torrens bouillans font rage ; il faut enjamber des rigoles de sang, des crevasses vides au fond desquelles dorment des arbres morts, et d’où sort de la vapeur. De tous côtés, dans les bassins, les eaux sont atrocement tourmentées, se démènent, sautent, retombent, comme pour échapper à quelque ennemi invisible qui voudrait les enchaîner, qui les lâche, puis les attire de nouveau. On a peur des surprises ; le sol sonne creux ; des écriteaux vous avertissent par places : Danger ! On s’approche des bassins avec défiance, par la crainte d’un jet imprévu. Les accidens sont fréquens. Le gérant de l’hôtel, au moment où j’y passe, a glissé sur une planche jetée au-dessus d’un bassin clair, où des Chinois lavent le linge des touristes ; il a la moitié de la jambe bouillie et déchiquetée. Quelques jours avant, un cheval s’est enlisé dans un mud caldron, une chaudière de boue ; il y a disparu, comme le juif polonais de Mathis dans le four à chaux.