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Arrivé au chêne d’Antain que je ne reconnaissais pas, tant il m’a paru petit ; fait de nouvelles réflexions, que j’ai consignées sur mon calepin, analogues à celles que j’ai écrites ici, sur l’effet que produisent les choses inachevées : esquisses, ébauches, etc.

Je trouve la même impression dans la disproportion. Les artistes parfaits étonnent moins à cause de la perfection même ; ils n’ont aucune disparate qui fasse sentir combien le tout est parfait et proportionné. En m’approchant, au contraire, de cet arbre magnifique, et placé sous ses immenses rameaux, n’apercevant que des parties sans leur rapport avec l’ensemble, j’ai été frappé de cette grandeur… J’ai été conduit à inférer qu’une partie de l’effet que produisent les statues de Michel-Ange est due à certaines disproportions ou parties inachevées qui augmentent l’importance des parties complètes. Il me semble, si on peut juger de ses peintures par des gravures, qu’elles ne présentent pas ce défaut au même degré. Je me suis dit souvent qu’il était, quoi qu’il pût croire lui-même, plus peintre que sculpteur. Il ne procède pas, dans sa sculpture, comme les anciens, c’est-à-dire par les masses ; il semble toujours qu’il a tracé un contour idéal qu’il s’est appliqué à remplir, comme le fait un peintre. On dirait que sa figure ou son groupe ne se présente à lui que sous une face : c’est le peintre. De là, quand il faut changer d’aspect comme l’exige la sculpture, des membres tordus, des plans manquant de justesse, enfin tout ce qu’on ne voit pas dans l’antique.

Les soirs, je me promène avec Jenny ; je dîne de bonne heure et suis bien forcé de me coucher de même : cela fait la nuit trop longue. Plus je dors, moins je veux me lever le matin… Toujours triste dans ce moment-là… Il faut le travail pour secouer cette mauvaise disposition, qui est purement physique.


Mardi 10 mai.

Les matins, je me débats avec Poussin. Tantôt je veux envoyer tout promener, tantôt je m’y reprends avec une espèce de feu. Cette matinée n’a pas été trop mauvaise pour le pauvre article.

Après avoir commencé à disposer clairement sur de grandes feuilles de papier, et en séparant les alinéas, les objets principaux que j’ai à traiter, je suis sorti vers midi, enchanté de moi-même et de mon courage à monter à l’assaut de mon article.

La forêt m’a ravi : le soleil se montrait, il était tiède et non pas brûlant ; il s’exhalait des herbes, des mousses, dans les clairières où j’entrais, une odeur délicieuse. Je me suis enfoncé dans un sentier presque perdu, environ au coin du mur du marquis ; je désirais trouver là une communication entre cette partie et l’allée