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À y regarder de près, il y a bien encore dans ce discours quelques réminiscences de parti, quelques flatteries à des passions vulgaires. Il y a particulièrement cette idée passablement usée qu’il y aurait quelque part en France des hommes qui resteraient les maîtres de la république par droit de conquête, qui garderaient le privilège d’ouvrir ou de fermer les portes, de distribuer les grades et l’influence dans l’armée républicaine selon l’ancienneté des services. Cela a encore un faux air de « concentration » et a l’inconvénient de ressembler à une puérilité prétentieuse, d’autant plus que si le droit de servir le pays dans la république était une affaire de date, on ne sait plus trop à quelle date il faudrait s’arrêter ; mais dans l’ensemble de ce discours de la Chapelle-Saint-Luc, on ne peut le méconnaître, il y a un ton élevé, un accent de libéralisme et de tolérance, un sentiment généreux des progrès réalisables dans la démocratie française et aussi des nécessités supérieures de gouvernement dans notre monde nouveau. M. Casimir-Perier, on le voit, a voulu parler aux instincts sérieux et honnêtes de l’assemblée populaire réunie autour de lui. Et c’est aussi au pays que s’adresse par un récent manifeste une société qui s’est formée sous le nom « d’Union libérale républicaine, » qui a la très légitime prétention d’entrer, sans en demander la permission, dans la république, avec le sentiment d’une situation nouvelle. « L’union libérale » ne cache ni son drapeau ni ses opinions. Elle est ralliée sans arrière-pensée, sans réticence à la république, — « à la république qui appartient à tous, qui n’est le lot d’aucun parti. « Elle n’en est que plus vivement prononcée contre tout ce qui a compromis la république, contre l’esprit de secte, contre la « concentration, » contre le radicalisme qui a divisé et humilié le pays. C’est le programme de ceux qui veulent une république libérale et ouverte. Manifeste de « l’Union » et discours de la Chapelle-Saint-Luc sont les préludes de cette prochaine crise d’élections dont le dénoûment, selon ce qu’il sera, peut laisser la France livrée à ses agitations stériles ou la relever par une politique plus digne d’elle.

C’est après tout la destinée de toutes les nations d’avoir leurs momens heureux ou moins heureux, et les affaires des autres peuples ne sont pas si brillantes, si faciles, que la France, avec ses épreuves, puisse passer pour une exception. Une fortune bienveillante épargne du moins, aujourd’hui comme hier, à l’Europe les complications d’où peuvent sortir les grands conflits, et il n’y aurait pas même d’incident apparent dans la vie internationale, si ce n’était une représentation qui se prépare à Rome, à laquelle l’empereur d’Allemagne va donner le lustre de sa présence, toujours un peu bruyante. Le roi Humbert se dispose à célébrer le vingt-cinquième anniversaire de son mariage avec la reine Marguerite, ses noces d’argent, et l’empereur Guillaume a tenu à être de la fête ; il s’est même fait annoncer avec une certaine ostentation. Il va donc se rendre à Rome, où il trouvera encore une fois