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des millions d’êtres vivans ; on sait encore que nombre d’industries, la fabrication de la bière, celle du vinaigre, ont acquis des méthodes sûres de travail ; on espère que bientôt il en sera de même de l’art de faire le vin. Enfin, comme pour montrer qu’aucune des branches de l’activité humaine, tenant à l’exploitation des êtres vivans, ne peut se dérober à la puissance des fermens, la culture elle-même doit compter avec eux. Comment interviennent-ils pour fixer dans le sol un des plus puissans élémens de fertilité : l’azote ? Comment agissent-ils pour modifier, transformer les résidus qui proviennent des végétations antérieures ou ceux qu’ils élaborent eux-mêmes et les rendre assimilables par les végétaux ? C’est là ce que je veux étudier dans ces articles.


I

La terre renferme les germes d’une multitude de micro-organismes[1], parfois ils appartiennent aux espèces pathogènes. Les personnes qui ont habité la campagne et particulièrement les départemens comme celui d’Eure-et-Loir, de l’Oise ou de Seine-et-Marne, où sévissait la maladie connue sous le nom de charbon ou de sang de rate, ont entendu parler de champs maudits, sur lesquels les vieux bergers se refusaient à conduire les animaux ; on a cru longtemps à des préjugés,.. il a fallu se rendre ; les champs maudits existent. Ce sont les endroits où ont été enterrés les animaux morts du charbon. Les germes de la maladie infectieuse persistent dans le sol pendant de nombreuses années, ils sont ramenés à la surface par les vers de terre, et quand les fosses où ont été enfouis des animaux charbonneux sont cultivées en céréales, elles restent, après la moisson, couvertes de chaumes, et sont à ce moment particulièrement dangereuses. Les pointes aiguës des pailles coupées blessent fréquemment les moutons qui ont l’habitude de flairer le sol ; le virus s’introduit par les légères piqûres que se font les animaux, et les troupeaux paient un large tribut à la maladie.

Les végétaux eux-mêmes, développés sur ces terres contaminées, sont dangereux. Un mouton charbonneux est enfoui dans un champ ensemencé en trèfle, la plante devient luxuriante au-dessus de la fosse. Une femme dérobe ce trèfle et le donne à manger à une chèvre et à une vache, restées l’une et l’autre à l’étable ; les deux animaux meurent.

Cette persistance des germes virulens dans le sol est assez

  1. M. Duclaux, de l’Académie des Sciences, a consacré plusieurs articles à leur étude dans les Annales de l’Institut Pasteur, t. I, III, IV.