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soutenir en attendant des circonstances plus favorables ; pour le chemin de fer, c’est un sacrifice sans compensation immédiate, mais qui trouvera peut-être son dédommagement dans l’avenir, et qui en tout cas évite la perte totale du trafic menacé.

Dans les deux cas, l’intérêt de l’industrie comme celui du chemin de fer justifie la création d’un tarit exceptionnel. Mais si la tarification doit suivre les règles étroites tracées par les partisans du principe de « l’économie publique, » ce principe s’oppose à ce que l’on fasse pour telle région un tarif dont ne profiteront pas les autres centres industriels. Ceux-ci seront quelquefois distans de plusieurs centaines de kilomètres du premier, et placés dans des conditions de production et de débouchés tout différentes. N’importe ; il faut l’égalité absolue, et si l’on crée un nouveau tarif, il doit s’appliquer à tout le monde. Dès lors la question change de face : au lieu d’un profit modique, mais sûr, au lieu même d’un sacrifice inévitable, mais limité, l’administration du chemin de fer se voit en face de l’inconnu, de pertes probablement considérables, dont l’effet sera incertain et la récupération douteuse. Conclusion : le maintien pur et simple du statu quo.

Mais, dira-t-on, c’est précisément là que devrait se révéler la supériorité de l’exploitation d’État. Cette expérience aléatoire peut effrayer une compagnie privée, dont le devoir est d’administrer avec prudence l’important capital qui lui est confié. Mais l’État ne doit pas se laisser guider par les mêmes considérations, il ne doit avoir en vue que l’intérêt public, et par suite ne doit pas hésiter à faire une réduction de tarifs même aléatoire, même franchement onéreuse, si elle doit avoir d’heureux effets sur le développement de l’activité industrielle et commerciale ; son sacrifice, il en retrouvera la compensation dans l’augmentation de la fortune publique.

Nous ne voulons pas discuter ici cette doctrine, qui confine au socialisme d’État ; mais ce que nous désirons montrer, c’est que, quoi qu’on en ait dit, elle n’a pas été mise en pratique jusqu’ici sur les chemins de fer de l’État prussien, et qu’au contraire les tendances de l’administration, loin d’être favorables aux abaissemens généraux et systématiques de tarifs, ont été et sont plus que jamais à l’heure actuelle opposées à toute réforme d’ensemble.

En veut-on des exemples ? Prenons celui des tarifs différentiels. On sait que les tarifs normaux des chemins de fer prussiens, ne sont pas conçus d’après le principe de la différenciation : il n’y a qu’une seule exception, c’est celle du tarif spécial 3, dont la base, fixée primitivement à 0 fr. 0325 par tonne et par kilomètre à toute distance, a été abaissée en 1880 à 0 fr. 0275 pour les parcours dépassant 100 kilomètres, en yue de satisfaire au desideratum formulé dans