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peu soucieux de nouveautés, dilettantes nonchalans que trouble le bruit de la place publique, viveurs sceptiques, railleurs impitoyables des sentimens généreux, — il se forme je ne sais quelle triste conspiration de toutes les défaillances. Elle a pour mot d’ordre : à quoi bon ? La France est trop vieille ! Il y a des courans qu’on ne remonte pas ! — Certes, vous n’aviez pas prévu ces conséquences de nos doctrines, vaillans serviteurs de la vérité, lorsque, sourds aux bruits du dehors, vous poursuiviez votre labeur acharné dans l’ombre des bibliothèques ou dans la lumière des musées d’Italie. Vous pensiez instruire la France sur ses erreurs et non couper le ressort de son énergie. Vous n’êtes pas directement responsables de ce pessimisme fade que l’effort de votre vie dément ; et si la mort ne vous avait pas prématurément fermé les yeux, vous diriez à votre tour : Nous n’avons fait que préparer la tâche ; c’est à la nouvelle génération de reconstruire. Elle se croit trop vieille ? étrange illusion des générations fatiguées, lorsqu’elles voient sombrer leur idéal ! — Le monde est trop vieux, il se meurt ! — Qui parle ainsi ? Un pape Grégoire, un évêque du IXe siècle, devant les querelles des petits-fils de Charlemagne. — La fin du monde approche ! allait-on répétant vers l’an 1000, lorsque les derniers lambeaux de la pourpre romaine se déchiraient dans le chaos féodal. — Seigneur, sauvez-nous, nous périssons ! s’écriait Dante devant le déclin du Saint-Empire ; et ce qu’il prenait pour la lueur de l’enfer, c’était l’aube de la monarchie française. Ainsi le même cri monotone se répercute de siècle en siècle. Vers l’an 1500, la féodalité se sent vieille. Cent ans plus tard, la société religieuse semble décrépite. Cent ans plus tard, le règne de Louis XIV est une décadence aux yeux de Saint-Simon ; et quand l’idée de progrès se glisse enfin dans les esprits, quand la colonne de feu se dresse tout à coup devant cette foule qui jusqu’alors n’apercevait sa route qu’à la lumière du passé, la société appelle de ses vœux un renouvellement complet. Non, rien ne meurt, mais tout se transforme. Ce qui vieillit, c’est votre rêve ou votre chimère de la veille. Ne vous croyez pas perdus parce que nous les avons détruits. Connaissez mieux votre nation, c’est-à-dire vous-mêmes : vous y retrouverez le secret de la vie.

Quand il s’agit d’apprécier la vitalité de la nation française, l’école historique se trompe sur deux points. D’abord, elle attache trop d’importance aux causes fatales. Quoi qu’on en dise, rien ne rendait notre unité absolument nécessaire : ni la race, une des plus mêlées qui soient au monde, ni des souvenirs parfaitement étrangers aux premiers artisans de la nationalité française, ni le climat qui offre des contrastes extrêmes. Nous nous sommes faits