Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si le droit du glaive est arraché des mains où l’autorité suprême l’a fixé pour passer impunément entre les mains du premier qui voudra s’en saisir. Quiconque, avec les loix sous les yeux, apprendra les derniers événemens de Toulon, trouvera au fond de son cœur l’opinion qu’il doit en concevoir… » Le vicomte de Mirabeau avait de même tenté d’ouvrir les yeux de ses collègues : « Si vous ne venez au secours de la chose publique en redonnant du ton et de l’énergie au pouvoir du monarque ; si vous ne rendez à la discipline militaire son activité ; si les agens du pouvoir exécutif ne sont pas réintégrés dans leur autorité : le printemps prochain trouvera le royaume de France sans armes, sans vaisseaux et sans défense[1]. » L’assemblée n’avait rien voulu entendre : c’est à peine si, dans la séance du 18, sur la proposition de M. Goupil de Préfeln, appuyée par La Fayette, elle autorisa son président à témoigner à M. de Rions, en lui communiquant le décret du 16, « qu’elle n’avait jamais cessé d’avoir pour lui l’estime due à un guerrier dont les services ont dignement soutenu la gloire de la nation[2]. » Aussi Meiffrun s’empresse-t-il d’écrire à ses collègues du corps municipal de Toulon sur un ton d’allégresse et de triomphe : « Voilà enfin notre grande affaire jugée : vous verrez dans le journal le décret que l’assemblée nationale a rendu avant-hier, il me semble qu’il est bon. La faction albertine aurait bien voulu y faire des amendemens, mais elle n’a pas eu le dessus[3]. »

Le conflit du commandant de la marine avec la ville de Toulon était donc terminé, et c’est la ville qui décidément l’emportait. Mais M. de Rions n’était pas seul atteint : l’esprit de discipline, le respect de l’ordre et de la loi sortaient comme lui, de cette affaire, amoindris et vaincus. Le fier gentilhomme supporta sa disgrâce avec une dignité triste dont il est difficile de ne pas être touché. « Je reçois avec la reconnaissance la plus respectueuse, écrivit-il en réponse à la communication de M. Target, les assurances que l’assemblée nationale daigne me donner de son estime… Puissions-nous être les dernières victimes du désordre ; puisse bientôt arriver le jour où, le citoyen honnête vivant heureux sous la sauvegarde des lois, le peuple saura que, pour être véritablement libre, il doit leur obéir ! ..[4]. » La lettre qu’il adressa en même temps au

  1. Brochure intitulée : Opinion du vicomte de Mirabeau dans l’affaire de Toulon. Le vicomte de Mirabeau concluait en demandant que la municipalité de Toulon fût suspendue de ses fonctions.
  2. Archives de Toulon. — Lettre de Ricard à la municipalité, du 18 janvier.
  3. Lettre de Meiffrun du 18 janvier, citée par Henry, I, p. 38f>.
  4. Lettre de M. de Rions au président de l’assemblée. (Moniteur du 27 janvier 1790, séance du 23.)