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absurde invention d’un instinct de méfiance exaspéré jusqu’à l’extravagance, ne pouvait manquer de séduire le soupçonneux génie de Robespierre. On voit avec quel empressement il l’accueille, en quels termes obscurs et menaçans il l’exprime. Poursuivant avec une rigueur inflexible le développement de sa thèse, le redoutable logicien ajoute qu’approuver M. de Rions, « c’est refuser au peuple le droit que la Déclaration des droits de l’homme a consacré : celui de la résistance à l’oppression ; » et que renoncer à le poursuivre, « c’est déclarer qu’on n’est pas coupable pour avoir insulté le peuple. » La prudence et la justice se réunissent pour commander à l’assemblée de témoigner à la garde nationale et au conseil municipal de Toulon la satisfaction qu’elle éprouve de leur conduite[1].

Après cette harangue, déjà tout imprégnée de jacobinisme, l’assemblée entendit encore un plaidoyer assez pâle de M. de Clermont-Tonnerre en faveur des officiers de marine. On discuta ensuite diverses propositions relatives à cette affaire et l’on finit par adopter un projet de décret ainsi conçu : « L’assemblée nationale, présumant favorablement des motifs qui ont animé M. d’Albert, les autres officiers de marine impliqués dans cette affaire, la garde nationale et les officiers municipaux de la ville de Toulon, déclare qu’il n’y a lieu à aucune inculpation[2]. »

Ainsi de vaillans officiers avaient été insultés, frappés, traînés en prison par une bande de forcenés ; la garde nationale et la municipalité, non-seulement n’avaient pris aucune mesure pour prévenir ou réprimer l’émeute, mais même l’avaient encouragée ; la loi avait été impudemment violée sous les yeux et par les mains mêmes de ceux qui avaient mandat de la défendre : et, dans un incident aussi triste, aussi grave, l’assemblée ne trouvait ni victimes, ni coupables, la violence était absoute, la justice et l’humanité, également outragées l’une et l’autre, restaient sans vengeance ; le pays, déjà livré à l’anarchie, voyait une scandaleuse impunité accordée à une sédition déclarée ! Telle était la force du courant de lâcheté qui entraînait ses collègues, que Malouet ne put pas même obtenir d’eux l’insertion dans le décret d’une phrase, d’un simple mot impliquant réprobation des excès commis envers le commandant de la marine[3]. Les avertissemens n’avaient pourtant pas fait défaut à l’assemblée : « La France est menacée d’une anarchie tyrannique, — écrivait mélancoliquement le Mercure de France dès le 19 décembre, —

  1. Moniteur du 18 janvier 1790. — Séance du 16 janvier, au matin.
  2. Moniteur du 19 janvier 1790. — Suite de la séance du 16.
  3. Moniteur du 19 janvier 1790. — Suite de la séance du 16.