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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/236

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tripotage et qui joindrait les fiertés aux complaisances, un gouvernement qui saurait nettement ce qu’il veut et qui s’en expliquerait avec une entière franchise, de l’humeur dont nous sommes, conquerrait peut-être en peu de temps une grande autorité. Si indisciplinés que nous soyons, nous avons du goût pour les hommes qui n’ont peur de rien et que nous croyons capables de nous faire violence.

On a quelquefois d’agréables surprises, et il est encore trop tôt pour tirer l’horoscope du nouveau cabinet. Attendons de l’avoir vu à l’œuvre. Il faut rendre cette justice à MM. Dupuy et Peytral que jusqu’ici ils n’ont point perdu leur temps. Un conflit malencontreux avait éclaté entre les deux chambres, et le budget restait en l’air. Ils ont mis tous leurs soins à régler au plus vite cette très fâcheuse situation. Ils n’ont point écouté ceux qui les exhortaient à traiter le sénat de haut en bas, à le ramener impérieusement à son devoir. Ils ont tenu compte de ses objections, de ses scrupules. Ils ont admis que la réforme du régime des boissons fût disjointe du budget de 1893 ; ils ont consenti au remaniement du projet de taxe des patentes et des dispositions relatives à l’impôt sur les opérations de Bourse, et cherché les termes d’une transaction qui pût être acceptée par les deux assemblées. Ils ont laissé crier les intransigeans, qui leur reprochaient leur indigne défaillance et juraient de la leur faire payer. Ils savaient que les députés, qui sont allés faire un tour dans leurs départemens et ont causé avec leurs électeurs, sont plus disposés, pendant quelques semaines au moins, à entendre raison. Mais, pour être sortis heureusement de cette première affaire, ils ne sont pas au bout de leurs embarras. Ils sont certains d’avance qu’on s’appliquera à leur rendre la vie difficile, qu’ils auront plus d’un mauvais pas à franchir. Dureront-ils ? On ne saurait le dire ; le destin est si capricieux ! Mais ce qu’on peut affirmer, c’est que, s’ils périssent avant le temps, à la fleur de l’âge, le coup mortel leur aura été porté par leurs meilleurs amis, qui n’en font jamais d’autres.

Il faut dans l’occasion montrer du caractère, mais il faut savoir transiger. C’est une transaction heureuse qui tout récemment a rendu la paix à la Belgique. Ce pays, dont la prospérité politique intéresse toute l’Europe, a offert pendant quelques jours un spectacle fort inquiétant. La grève, des attroupemens tumultueux, l’émeute grondant dans les rues, des collisions sanglantes entre les ouvriers et l’armée, tout semblait présager un funeste dénoûment, une révolution dont les conséquences eussent été redoutables. Déjà des prophéties sinistres se faisaient entendre. Un journal officieux de Vienne annonçait que les gouvernemens ressentaient les plus sérieuses inquiétudes, que les émeutiers de Bruxelles, de Gand et du Hainaut agissaient de concert avec les communards français, qui ne tarderaient pas à entrer ouver-