Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manifestation du monde catholique. On ne pouvait rester sous le coup, il fallait répondre à cette démonstration par une autre, et, à cet effet, adresser des invitations aux puissances étrangères. Pouvait-on se passer de la présence du jeune et puissant souverain qui, en 1888, avait déjà paru au Quirinal et porté un toast « à la Rome intangible ? » Peut-être espérait-on que, pour ménager ses hôtes et ne pas les induire en dépense, il viendrait seul ou presque seul. Vaine espérance ! Il aime à faire grand, il a amené avec lui une suite très nombreuse et, selon toute apparence, bien endentée.

… C’est ce coup qu’il faut, vous m’entendez,
Qu’il faut fouiller à l’escarcelle.

On avait évalué à deux millions les frais de réception ; on craint que cette somme ne soit sensiblement dépassée. Ainsi va le monde, il faut acheter ses bonheurs, il faut payer ses plaisirs.

Les Italiens se sont réjouis et enorgueillis des hommages rendus à leur roi et à leur reine, et la Gazette officielle avait raison de dire que la nation avait senti rejaillir sur elle un peu de la gloire de ses souverains. Mais si les Italiens ont comme nous des impressions vives, ils ne se laissent pas gouverner par leurs nerfs, ils conservent la faculté de réfléchir et de calculer. Leur cœur s’échauffe, la tête reste froide. Ce peuple gesticulant et très avisé est rarement dupe de ses enthousiasmes, et, pendant toutes ces fêtes, les réflexions allaient leur train : — « Mériterons-nous l’excommunication, écrivait un publiciste milanais, si nous disons que dix longues journées de réjouissances et un tel luxe de banquets, de revues, de mise en scène, de tournois, de moyen âge, s’accordent mal avec notre situation politique ? » — De son côté, un journal romain, très dynastique, après avoir payé à l’empereur d’Allemagne son tribut de profonde vénération, exprimait le désir que, parmi les fondateurs de l’unité italienne, il se trouvât un homme assez franc, assez hardi pour oser dire respectueusement à Guillaume II : — « Sire, vous nous parlez souvent de vos sentimens pacifiques. Quand viendra le jour où, grâce à vous, vos sujets et vos alliés pourront goûter les bienfaits et les douceurs de la paix ? Jusqu’ici, nous n’en sentons que le poids. »


***.