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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/341

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Garat, et les Principes de morale de Mably. Il n’est pas étonnant que le public, qui n’assistait pas aux entretiens de Morellet et de ses amis et ne connaissait la Sorbonne que par les arrêts qu’elle prononçait, ait conçu pour elle une haine violente. Aussi ne dut-elle pas laisser beaucoup de regrets lorsqu’en 1791 un décret du gouvernement ferma ses écoles et supprima la société.

M. Gréard n’a pas négligé de nous dire ce que la Sorbonne est devenue depuis la fin du siècle dernier jusqu’à nos jours ; seulement, comme les faits sont récens et mieux connus, il est entré dans moins de détails que pour le reste. Je passerai plus vite encore. En 1801, elle reçut quelques-uns des artistes qu’on venait de renvoyer du Louvre. Une quarantaine de ménages y furent tant bien que mal établis ; on fit des ateliers dans la salle des actes et dans l’église ; des peintres de fleurs obtinrent de petits coins du jardin pour y cultiver des roses. Parmi ces artistes, il y en a de célèbres, par exemple, les sculpteurs Dumont, Ramey, Roland, David d’Angers, et le peintre Prud’hon qui composa son chef-d’œuvre : la Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime, à l’endroit où se trouve aujourd’hui la bibliothèque. En 1821, la colonie des artistes fut renvoyée, et la Sorbonne fut rendue à son ancienne destination. On y logea les facultés de théologie, des sciences, des lettres, et l’administration académique. Dans cette dernière phase de son existence, elle a eu des jours glorieux. Le gouvernement de la Restauration, en veine de libéralisme, rappela dans leur chaire, en 1828, les professeurs qu’il en avait éloignés quelques années auparavant, et alors commencèrent ces cours de Villemain, de Guizot, de Cousin, dont le succès fut si retentissant. M. Gréard n’est pas de ceux que ce succès inquiète et qui voudraient éteindre l’éclat de ces grands enseignemens. Il n’en parle, au contraire, qu’avec l’admiration la plus vive. « Reproduits le jour même par la sténographie, nous dit-il, et multipliés le lendemain par la presse, ils étaient suivis sur tous les points du pays avec la même ardeur, la méme âpreté d’intérêt que les débats des chambres. J’ai entre les mains l’édition princeps, devenue rare, des trois cours. Elle se ressent de la hâte avec laquelle l’impression en a été faite ; mais elle est toute chaude aussi et comme vibrante de l’émotion des applaudissemens. » Ce n’était pas la France seule, mais l’Europe entière qui avait alors les yeux sur la Sorbonne. Goethe se faisait envoyer chaque leçon et la commentait avec Eckermann ; l’Allemagne, en les lisant, se souvenait des premiers jours de l’université de Berlin, quand Fichte, Schleiermacher, Niebuhr, relevaient le courage de la Prusse et y ranimaient l’esprit public. L’éclat de ces cours n’en excluait pas la solidité. Ils renouvelaient