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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/434

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avait rêvé n’est pas, je le répète, tout à fait une fiction, depuis que les jurisconsultes, tout en compulsant les articles du code, savent parfois entendre ce que la charité leur murmure à l’oreille.

La révolution a mis fin aux tortures qu’une ignorance barbare faisait souffrir aux fous, et maintenant quelques-uns de ces malheureux retrouvent la raison et redeviennent des hommes. On n’exorcise plus, on soigne.

Allant plus loin dans cet ordre d’idées, beaucoup de gens soutiennent que le criminel, cet autre possédé du diable, est, lui aussi, un malade quelquefois guérissable, et dont il est possible d’assainir l’âme, sans pour cela que l’idée de justice soit en rien méconnue, sans que la défense de la société soit le moins du monde compromise.

Je crois que leur méthode est bonne, l’ayant vue à l’œuvre, et j’espère vous le démontrer si vous ne répugnez pas à suivre avec moi le transporté dans sa via dolorosa.

Jusqu’à la fin de l’année dernière, les forçats étaient divisés en cinq classes, réduites désormais à trois. Dans la dernière classe sont compris, — mais groupés séparément, — les individus arrivant de la métropole, les hommes « rétrogrades » par suite de punitions, enfin les « incorrigibles. » Les travaux les plus pénibles leur sont, comme c’est naturel, exclusivement réservés. Couchant sur un lit de camp, enfermés pendant les heures de suspension du travail, ils sont, en outre, astreints au silence. Cette épreuve ne peut durer moins de deux ans, et ce minimum sera bien rarement obtenu.

Le passage à la deuxième classe commence à rendre visible cette petite lumière qui scintille là-bas, tout au bout du long chemin et qu’on appelle l’espérance.

Il va falloir marcher bien longtemps encore pour s’en rapprocher, car le second cercle de l’enfer ne sera franchi, pour les uns, que lorsqu’ils auront accompli la moitié de leur peine ; pour les autres, — les forçats condamnés à vingt ans et plus, — qu’après dix ans de présence au bagne.

Que d’occasions de chutes, durant cette longue période ! Que de pierres d’achoppement contre lesquelles risque, presque à chaque heure, de trébucher l’âme obscure du criminel !

Aussi, lorsqu’il aura atteint la terre promise qui est pour lui représentée par la première classe, croyez-vous que cet homme n’aura pas donné les marques d’une persévérance courageuse, et ne sera-t-on pas tenté de dire comme Figaro : « À la constance dans le repentir qu’on exige d’un condamné, connaissez-vous beaucoup d’honnêtes gens qui seraient capables d’un si long effort de volonté ? »