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meilleure façon de leur dire : Memento quia pulvis es. Souviens-toi que tu es de ceux dont on fait ce que tu vas voir. — Le jour s’est levé tout à coup ; — dans les pays des tropiques, il n’y a pas d’aurore, — et le soleil brille déjà au-dessus de la mer. Le commandant fait un signe ; l’un des surveillans se détache, gravit le monticule, et tournant l’angle de la maison centrale, disparaît.

Un silence vraiment solennel pèse sur ces hommes réunis là. Plusieurs minutes s’écoulent ; puis on aperçoit, tout en haut du chemin, une sorte de procession qui s’avance lentement. Au centre est un homme qui semble vêtu de blanc. À mesure qu’ils descendent le chemin qui se déroule en serpentant, on les distingue mieux ; voici le condamné dont la face est couleur de cire ; à côté de lui marche l’aumônier récitant les prières des agonisans et tenant élevé un grand crucifix noir ; derrière, des surveillans, le revolver au poing. Quelques pas encore et ils seront dans la cour.

Une voix s’élève :

— Condamnés, à genoux ! chapeau bas !

Les forçats se prosternent.

Le condamné est maintenant tout près de la guillotine : il la regarde avec assurance et sans un tressaillement sur son visage de cadavre. Le greffier s’avance et se place devant lui.

— Portez armes ! commande l’officier.

Le greffier donne lecture de la sentence. Fonctionnaires et magistrats se découvrent.

À ce moment, on est saisi d’un sentiment en quelque sorte religieux, fait de terreur et de respect ; il semble que la loi, se matérialisant, vous ait frôlé en passant.

La lecture est terminée :

— Avez-vous quelque déclaration à faire ? interroge le commandant.

— Je voudrais adresser quelques mots à mes camarades.

Et alors, d’une voix ferme, cet homme, qui n’a plus que deux minutes à vivre, fait tomber sur cette foule de misérables, agenouillés devant lui, des paroles de résignation, d’encouragement et de bon conseil[1] :

« Je mérite l’expiation. Je demande à l’instant de mourir. Qu’on me pardonne les forfaits pour lesquels je suis justement puni ! Vous voyez où peut conduire l’abandon de soi-même ; tous vous avez pris un mauvais chemin ; n’allez pas plus loin ; que la vue de mon supplice serve à vous détourner du crime. Ne me plaignez pas. J’ai du courage. Adieu, camarades, souvenez-vous de moi ! »

  1. C’est un fait très curieux, il me semble que, si les termes de cette allocution varient, le sens est toujours à peu près le même. J’ai entendu certains condamnés faire une espèce de profession de foi religieuse.