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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/490

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du siège de Dunkerque, et son autorité donnait un grand poids au sentiment de Turenne.

Mazarin passa outre. Il était lié à Cromwell par un étroit traité ; ni sur terre, ni sur mer, il ne pouvait se passer du concours que ce traité lui assurait ; or, s’il refuse Dunkerque au Protecteur, les Espagnols mettront une surenchère : avec l’appui des « Côtes-de-fer, » don Juan proposera d’attaquer Calais pour le remettre à Cromwell. D’aucune façon, Calais ne vaut Dunkerque ; mais rentrer dans une place possédée pendant plus de deux siècles, recouvrer ce coin du vieux sol de la France, quel appât offert à l’orgueil britannique ! Ouvrir cette chance aux Espagnols, perdre le secours d’Angleterre et risquer Calais, c’était sacrifier tous les avantages recueillis pendant vingt campagnes. Certes il était cruel de courir tant de risques, de faire une si grosse dépense d’hommes et d’argent pour livrer à l’Anglais le grand port de la mer du Nord ; c’était en quelque sorte le perdre une seconde fois ; mais le succès serait un terrible coup porté au roi catholique, peut-être la fin de la guerre.

Donc le cardinal voyait juste, et Turenne se soumit ; mais son anxiété restait grande, toute sa correspondance en témoigne. Il craint de manquer d’avoine et de poudre ; il lui faudrait plus d’infanterie. Comment arriveront les convois, les renforts, louvoyant au milieu des places ennemies, au travers des sables, des marais ?

Mazarin pourvoit à tout : les transports sont organisés, les approvisionnemens assurés, avec un luxe de prévoyance et de précautions jusqu’alors inconnu ; les lignes se garnissent d’infanterie amenée de toutes parts, et l’effectif de l’armée atteint le chiffre de trente mille combattans ; depuis longtemps on n’avait vu une réunion de troupes aussi belles et aussi bonnes. Dans cette élite figuraient six mille Anglais distingués par l’éclat de leurs habits rouges[1], beaux hommes, robustes, peu habitués à remuer la

  1. Red coat (habit rouge), ainsi dit le général Morgan dans son récit de la bataille des Dunes. Il est hors de doute, n’en déplaise à certaines théories, que le rouge était, depuis plusieurs années déjà, la couleur portée par la plus grande partie de l’infanterie anglaise : le 16 octobre 1649, un contrat était passé pour la fourniture de 16,000 habits rouges destinés à l’armée parlementaire en Irlande (Council of State proceedings. Calendar of State papers).