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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/491

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terre, — ni eux, ni leurs officiers, formés dans les luttes civiles, n’ont l’expérience des sièges, — intempérans, enclins à se jeter sur les fruits verts, mais aguerris, fiers, confians dans leur force et leur valeur, ayant la ténacité et l’indomptable courage de leur race. Reynolds, qui devait les commander, s’est noyé pendant la traversée ; le major-général Morgan[1] a pris sa place ; mais la direction reste aux mains de l’ambassadeur accrédité près la cour de France, Lockhart, Écossais de vieille race, ancien officier de l’armée royale, rallié depuis à la cause du parlement, ayant et méritant la confiance du Protecteur, dont il a épousé la nièce[2].

Le maréchal est bien secondé : Clerville pour les travaux, et, pour commander les troupes, Castelnau, Ligniville, Créqui, homme nouveau qui égalera les autres ; nous ne nommons que les principaux.

Et cependant Turenne ne se rassure pas ; il s’attend à quelque coup fourré de M. le Prince. On dit celui-ci hors d’état de rien entreprendre, presque mourant ; mais que de fois ne l’a-t-on pas vu reparaître, ressusciter, quand il semblait perdu ?

À peine relevé d’une grave maladie qui l’avait cloué cinq mois au lit, ne pouvant recouvrer ses forces, sans cesse repris de la fièvre, Condé se rapprochait lentement de ses troupes, cheminant en voiture, à petites journées[3]. Ce qu’il voyait, ce qu’il entendait n’était guère propre à le ranimer : «Il enrageait qu’on n’eût pas mis meilleur ordre à la défense des passages de Bergues[4], » ces défilés, marais, rivières, dont l’Espagne tenait la clé et que l’ennemi avait franchis sans encombre. L’état des troupes était lamentable.

  1. Sir Thomas Morgan, colonel au service du parlement en 1645, major-général en 1654, débarqua en France le 29 mai 1657. À son retour (1659), il fut employé en Écosse et suivit l’évolution de Monk. La Restauration le récompensa par le don d’un domaine en Staffordshire. Vaillant et bon officier, mais d’une humeur et d’une vanité intraitables.
  2. La famille de l’ambassadeur florissait en 1150 et tirait son nom (Lock heart) d’une légende ; un des chefs de la race, Siméon, aurait porté le cœur de Robert Bruce. — Né en 1621, sir William Lockhart eut une jeunesse agitée. Réfugié presque enfant en Hollande après une aventure d’écolier, il sert quelque temps en France, reparaît à la bataille de Worcester à côté de Charles II, puis se retrouve, deux ans plus tard, dans l’intimité de Cromwell, qui lui donne successivement sa nièce Robina Sewster, l’ambassade de France (1657), et le gouvernement de Dunkerque (1658). — La Restauration ramena sir William en Hollande. Rentré en grâce en 1671, il revint à Paris comme ambassadeur, et s’était encore une fois retiré en Hollande lorsqu’il y mourut en 1675. — Un de ses petits-neveux ou descendans, John W. Lockhart, éditeur de la Quarterly Review, a épousé la fille de sir Walter Scott et publié ses œuvres.
  3. M. le Prince quitta Bruxelles le 3 juin. Il était, le 8, à Ypres ; le 9, à Nieuport ; le 10, à Fumes ; le 11, à Bergues.
  4. Mazarin à Turenne, 5 juin. A. E.