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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/492

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Facile de relations, beaucoup plus conciliant que son prédécesseur, le marquis de Caracena, capitaine-général[1], n’avait pas l’aptitude, l’application, l’énergie de Fuensaldaña. Fort mal secondé d’ailleurs par le gouvernement de Madrid, il ne recevait du vice-roi ni appui, ni direction. « Dom Juan est un homme sans action, négligent au dernier point, ne bougeant presque de son lit… Il se pique de venir à l’armée ; mais il agit si peu, si à contre-temps et avec tant d’irrésolution, que cela fera manquer toutes les affaires[2]. » En traçant ces lignes quelques mois plus tôt, Condé ne se montrait que trop bon prophète.

En somme, rien n’avait été créé, rien relevé ; toute l’organisation s’écroulait ; tout manquait, recrues, solde, chevaux ; pas un canon attelé. Une rapide inspection avait suffi à éclairer Condé. Il n’hésita pas. Au premier conseil tenu à Ypres, il insista pour qu’on renonçât à toute opération qui pourrait aboutir à une action générale.

Mais deux incidens récens avaient réveillé l’ardeur des Espagnols, gonflé leur vanité. Tandis que le maréchal d’Aumont, attiré dans un traquenard à Ostende, se faisait prendre avec cinq cents hommes[3], le maréchal d’Hocquincourt, après avoir si longtemps tergiversé, multiplié, désavoué, renouvelé ses promesses, pris de l’argent de toutes mains, choisissait, pour se décider, le moment le moins favorable, et passait à l’ennemi, livrant à Condé, avec la complicité du major de Fargues, la place de Hesdin[4].

  1. Voir t. VI, p. 428, et note p. 429.
  2. M. le Prince au comte de Fiesque, 11 octobre 1657. (Archives de Condé.) — « Je ne vous dis pas cecy par aucune animosité que j’aye contre luy, ajoutait Condé, car je suis son amy et nous vivons bien ensemble. »
  3. Le piège avait été imaginé et habilement préparé depuis plusieurs mois par un officier wallon nommé Spindeler, et les agens de Mazarin s’y laissèrent prendre. Il y eut même un traité signé : Ostende n’attendait que l’arrivée par mer d’un petit corps français pour se donner au roi très chrétien. Le maréchal d’Aumont fut chargé de l’expédition. Il s’embarqua, le 2 mai, à Mardick et mouilla le lendemain devant Ostende ; les conjurés n’étaient pas prêts ; il fallut rester à l’ancre dans cette détestable rade. En ville, tout le monde était dans le secret, et chacun joua son rôle. Le 14 mai, au matin, profitant de la marée, le maréchal d’Aumont entra dans le port avec quelques navires et débarqua avec 500 hommes environ ; on l’accueillit aux cris de : Vive la France ! Soudain son petit corps fut enveloppé et fusillé à bout portant ; tout ce qui avait débarqué fut tué ou pris. Les troupes restées en rade purent regagner Calais.
  4. Le gouverneur de Hesdin, le marquis de Bellebrune, étant mort le 16 février 1658, le major de la place, Barthélémy de Méallet de Fargues, refusa de recevoir le nouveau gouverneur envoyé par le roi. Le véritable instigateur de la rébellion était le maréchal d’Hocquincourt, qui, le 2 mars, se jeta dans Hesdin avec son régiment. Les prétentions exorbitantes des rebelles rendant impossible le retour au devoir, ils se tournèrent vers le prince de Condé, qui conclut avec eux un traité en règle et leur envoya un détachement, commandé par Boutteville et Persan. Fargues logea ces troupes dans les faubourgs, sans vouloir laisser entrer personne dans la place ; il relégua même Hocquincourt à un rang si effacé que le maréchal prit le parti de se rendre à Bruxelles, où il arriva le 30 mars. — Fargues resta maître de sa place jusqu’à la paix des Pyrénées, et fut compris dans le traité ; mais le roi n’oublia pas le traître. Fargues fut arrêté, jugé et pendu au mois de mars 1665 : « La condamnation portait pour vol, péculat, faussetés et malversations commises au fait du pain de munition. » (Olivier d’Ormesson.)