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de beauté, cette couronne offerte à genoux par un souverain amoureux, avait à la fois le charme d’une très ancienne chose et le prestige d’une chose très nouvelle. C’était comme une féerie, dans un décor qui allait rajeunir toutes ses splendeurs. Au reste, je ne recherche pas ce qu’en pensa le public ; je suis les impressions d’un seul spectateur, et d’un spectateur privilégié. Il n’avait rien rencontré de pareil, si ce n’est dans les contes. Plus d’une fois, pendant les premiers mois de l’année 1853, il dut se demander s’il rêvait, ou s’il jouait encore la comédie à Carabanchel. Cette petite fille qu’il avait promenée, grondée, amusée, dont les menus doigts, nerveux et timides, s’accrochaient, se confiaient aux siens, à travers les foules parisiennes, on lui disait maintenant, — et lui comme les autres, — « Votre Majesté. » Sur ce front où il avait vu naître les premières langueurs et les premières rêveries, étincelaient les joyaux célèbres qui racontaient quatre siècles de monarchie et d’empire : l’histoire de France en diamans. Il avait contribué à lui apprendre la langue de ce peuple sur lequel elle allait régner ; les mots que, le premier, il avait mis dans sa mémoire, elle allait les répandre comme autant de faveurs, et ceux qui les recueilleraient en seraient comblés.

Certains hommes regardent si bien que regarder leur suffit. Les amis de Mérimée voulaient davantage pour lui ; ils lui cherchaient un rôle à remplir. Mais quel rôle ? On pensa à le faire secrétaire des commandemens. La place était probablement au-dessous de Mérimée puisqu’on la donna à Damas-Hinard. Il est vrai que Mérimée, s’il l’avait eue, l’aurait élevée à sa hauteur. Le 23 juin, il apprit sa nomination de sénateur et, par une délicatesse d’amitié que l’on comprendra, remercia la mère de ce qu’il recevait de la fille : « Vous avez fait un sénateur il y a deux ou trois heures. J… me dit que l’impératrice a embrassé son mari avec effusion lorsqu’il lui a annoncé la chose. Ce petit détail me fait, je vous l’assure, plus de plaisir que la chose elle-même, à quoi je ne suis pas encore parfaitement réconcilié. Il y a un an, jour pour jour, on me condamnait à quinze jours de prison pour avoir défendu quelqu’un que je jugeais innocent. Aujourd’hui je suis sûr que mes juges ont des remords, mais je voudrais retrouver mes amis tels qu’ils furent l’année passée, lorsqu’ils venaient me voir dans ma petite cage[1]. »

M. d’Haussonville nous donne à entendre[2] que, si Mérimée s’était résigné à subir quelques bouderies et quelques épigrammes,

  1. Correspondance inédite, 23 juin 1853.
  2. Voyez la Revue du 15 août 1879.