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il n’aurait perdu aucune des relations qui lui étaient chères. Il préféra une rupture définitive au stage de pénitence par lequel le faubourg Saint-Germain avait résolu, paraît-il, de lui taire acheter son absolution. Il eut beaucoup de consolations, entre autres celle de se trouver bonne mine dans son nouvel habit, un habit bleu et or, plus favorable au teint que le frac académique, « brodé d’estragon. » Ce qui le charmait, maintenant qu’il voyait les choses de tout près, ce qu’il était vraiment heureux de redire à Mme de Montijo, c’était la façon dont l’impératrice jouait son rôle, ou, comme il disait, « faisait son métier. » Ce n’était pas seulement la figure du milieu dans un admirable tableau vivant, c’était une véritable souveraine. Elle savait parler et se taire, voyait vite et juste parce qu’elle cherchait le bien, étudiait les devoirs de son état pour s’y dévouer. Il fut frappé de son bon sens lorsqu’on proposa, pour lui plaire, d’introduire en France les courses de taureaux. L’empereur inclinait à accepter l’idée parce qu’il y voyait comme une image des jeux de gladiateurs. « Les Français, pensait-il, veulent, comme les Romains, des spectacles émouvans, et il est bon de mettre parmi eux le courage à la mode. » L’impératrice comprit que les courses de taureaux, à Paris, seraient un scandale ou un fiasco, peut-être l’un et l’autre, et le projet tomba dans l’eau. Au moment de la guerre de Crimée, l’empereur, impatient de voir un champ de bataille, songea à aller prendre le commandement des troupes. L’idée n’étant pas bonne, quelques personnes de l’entourage impérial chuchotèrent qu’elle venait de l’impératrice. Mérimée le crut un moment, mais il fut vite détrompé. Cette fois encore, il se réjouit avec Mme de Montijo de trouver l’impératrice du côté de la prudence et du bon sens. Les ministres le confirmèrent dans cette opinion en lui parlant de l’attitude de l’impératrice au conseil et des heureux effets de sa présence. Lorsque la régence lui fut confiée pour la première fois, il la trouva en train d’apprendre par cœur la constitution. En effet, ceux qui la connaissent réellement savent qu’il n’y a point d’esprit plus attaché à la loi et plus opposé aux coups de force.

Quant à son courage, il n’en parle que pour s’en plaindre. À chaque nouvelle tentative contre la personne des souverains, il revient, en vieil ami grondeur, sur les précautions qu’il voudrait qu’on prît pour les protéger. « Si nous pensions à cela, lui répond un jour l’impératrice, nous ne dormirions pas. Le mieux est de n’y pas songer et de se fier à la Providence[1]. » Le soir du 14 janvier, mettant le pied sur le trottoir de l’Opéra, après la pre-

  1. Correspondance inédite, 16 janvier 1858.