Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/563

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les ministres ou agacer la majorité. Ce fut d’abord la malheureuse affaire Libri qui le fit monter à la tribune à propos d’une pétition adressée au Sénat par Mme Libri, pour la revision du procès de son mari. Pétition impertinente et insensée, car M. Libri n’avait qu’à se présenter pour purger sa contumace. Mérimée avait donc tort de se charger encore une fois de cette mauvaise cause, et M. Libri qui, n’ayant point de sens moral, blessait sans cesse le sens moral d’autrui, s’arrangea pour lui donner deux fois tort en répandant des pamphlets aigres où il attaquait au lieu de se défendre. La pétition Libri s’étayait sur des certificats fournis par les sommités scientifiques de l’étranger, et Mérimée eut l’imprudence de s’y appuyer. Notre patriotisme, toujours ombrageux et quelquefois un peu sot, était, en cette circonstance, très bien fondé à engager les illustres bibliophiles de Londres, Rome et Berlin à se mêler de leurs affaires : c’est ce qui fut fait. Dans la séance du 6 juin 1861, M. Bonjean, chargé du rapport, fit voir que, si la pétition était renvoyée au garde des sceaux, la seule mesure à prendre serait, pour le gouvernement, de faire appel du jugement intervenu contre Libri. Cette démarche, à elle seule, eût été une censure sévère contre la magistrature française, si amèrement et si violemment dénoncée par le factum de Mme Libri. Ce rapport, très grave, très digne, très longuement et fortement motivé, concluait en priant le Sénat de passer à l’ordre du jour. Mérimée essaya de combattre ces conclusions dans la séance du 11 juin. Il apporta à la tribune cette figure de condamné à mort qu’il avait montrée au public académique le jour de sa réception. On écouta avec politesse ce froid discours qui n’entraîna et ne pouvait entraîner personne. Comme toujours, la joie d’en être quitte put seule faire croire à Mérimée qu’il avait bien parlé. Les magistrats, qui prirent ensuite la parole, dépecèrent Libri, non sans atteindre un peu son défenseur. Delangle et Dupin y mirent quelque discrétion, mais M. de Royer, qui parla le dernier, fut le plus rude de tous. Il accabla Libri d’un dernier coup, en apprenant au Sénat que ce personnage avait falsifié l’acte de décès de son père pour obtenir sa naturalisation. Il n’y eut pas de scrutin : un scrutin était une cruauté inutile. Mérimée, très froissé, alla se consoler à Fontainebleau, où son amour-propre fut délicatement pansé. Il eut seulement le tort de prendre ces égards de l’amitié pour une adhésion à sa thèse : aux Tuileries, personne n’a jamais cru à l’innocence de M. Libri.

Dans l’affaire des serinettes, il eut à combattre deux ministres, M. Rouher et M. Vuitry. Le gouvernement présentait une loi sur les instrumens de musique mécaniques. Tout en ayant l’air de ne