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en lui tendant la main : « À bientôt ! » Ce rendez-vous hanta quelque temps l’imagination de l’écrivain.

Mais le préféré, ce fut Panizzi qui, pour être venu tard dans l’amitié de Mérimée, n’y prit pas moins la première place, parce qu’il lui ouvrit un nouveau champ d’étude, d’amusement et d’action très convenable à sa situation et à son âge, et surtout parce qu’il donna à ce brillant esprit une impulsion qui le rajeunit. Dans toutes les correspondances de Mérimée, je remarque une première période où il a toute sa verve, comme si les liaisons d’esprit avaient une lune de miel à l’égal des liaisons du cœur. C’est de 1858 à 1862 que s’étend la partie vraiment intéressante de la correspondance avec Panizzi. Mais cette correspondance avait commencé dès 1851. Mérimée cherchait un acquéreur pour certains manuscrits copiés par les soins de Beyle à la bibliothèque du Vatican (alors qu’il était consul à Civita-Vecchia) et restés en la possession de sa sœur. Il s’adressa à Panizzi, qui était administrateur du British Museum, sur un ton qui me semble indiquer ou qu’ils s’étaient déjà croisés dans le monde ou qu’ils avaient des amis communs.

Quelques années plus tard (en 1855), Mérimée recommande à Panizzi M. de Lagrenée et sa fille qui se rendent en Angleterre. Deux ans s’écoulent, et, de nouveau, il lui écrit, avec une commission de Cousin pour lord Spencer qui possède un portrait de Julie d’Angennes par Mignard. La lettre est gaie et le « cher monsieur Panizzi » est déjà devenu « mon cher Panizzi. »

C’est à peu près vers ce temps qu’on tenta la reconstruction et la réorganisation de notre bibliothèque impériale. On voulait copier le British Museum, sans en avoir l’air, faire mieux si l’on pouvait. Mérimée devint la cheville ouvrière de la commission nommée dans ce but. Son travail était double. Il consistait d’abord à relever les imperfections de l’institution française : ingrate et triste besogne qui l’obligeait à morigéner des maîtres ou des amis. La seconde partie de sa tâche consistait à étudier le British Museum ; le concours cordial de Panizzi la rendit facile et charmante. Pour commencer, Panizzi l’installa chez lui, lui versa des vins rares, lui présenta des gens curieux, le choya, l’amusa, le fascina et lui fit tout voir en se jouant, sans un instant de fatigue. Jamais enquête administrative ne fut plus délicieuse. Mérimée en parlait avec une sorte de sensibilité comme on parle d’une bonne fortune inoubliable ; il s’attendrissait surtout à la pensée d’un admirable bœuf salé qui éveillait la soif en endormant la faim.

À part le bœuf salé, bien des choses rapprochaient ces deux hommes. Eadem velle eadem nolle, dit le Catilina de Salluste, ea demum firma est amicitia. Mérimée et Panizzi détestaient les