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portugais nommé Rachon. De son côté, sa jeune épouse trouvait le temps long dans la maison vide et un beau jour, à bout de patience, elle s’était décidée à venir, avec ses deux belles-sœurs, surprendre son mari au camp, devant Crèvecœur, où elles demeurèrent du 14 au 20 septembre. C’était là une amusante équipée, qui ne laissait pas cependant d’offrir sinon des dangers, du moins quelque incommodité pour des femmes seules ; aussi est-ce avec un sentiment bien naturel de reconnaissance que Huygens rendit grâce au ciel des succès du prince quand, la campagne étant terminée, il put enfin regagner son foyer.

Tous ces détails, nous les trouvons brièvement consignés dans le journal de famille, qu’après la mort de son père Constantin reprenait à son tour et qu’il devait continuer jusqu’à ses dernières années. On peut ainsi le suivre dans les actes les plus importans de sa vie publique ou privée, connaître toutes les étapes des campagnes, toutes les phases des négociations auxquelles il a pris part. C’est, par excellence, un homme d’intérieur, et cependant quand le service du prince l’appelle, il quitte les siens et reste tant qu’il le faut hors de chez lui. Il n’est pas de fatigue qu’il n’endure, pas de voyage qu’il n’entreprenne, en toute saison, sur mer par les plus gros temps, en hiver sur les canaux glacés, au milieu des froids les plus rigoureux. Pendant des mois entiers, chaque soir il doit changer de gîte. Lui, si aimant, si dévoué à sa famille, c’est au camp qu’il apprend la mort des siens, la naissance de ses propres enfans, le mariage de ses sœurs. En 1630, au mois d’octobre, il reçoit à Middelbourg la nouvelle d’une grave maladie de sa mère et, par une délicate attention, Frédéric-Henri l’informe en même temps de sa nomination comme membre de son conseil privé. Trois ans après, devant Rynberg, il est prévenu de la mort de sa mère, trop tard pour lui rendre les derniers devoirs et quand, en 1642, son frère, à toute extrémité, le fait mander, c’est à grand’peine qu’il arrive à temps pour serrer encore dans ses bras son bien-aimé Maurice. Les années s’écoulent ainsi, ramenant dans leur cours les obligations, souvent très diverses, d’une vie toujours très remplie.

Du moins, jusque-là, tout lui a souri. Coup sur coup quatre enfans lui sont nés que sa femme élève avec tendresse en son absence et dont il s’occupe lui-même avec la plus intelligente sollicitude quand il est auprès d’elle. En 1635, comme il a pu, grâce à l’habile gestion de ses affaires, accroître encore sa fortune, il juge convenable de se faire construire, sur un terrain que le prince lui avait donné l’année précédente, une demeure plus spacieuse et aussi mieux en rapport avec sa situation. Il en a lui-même étudié et revu les plans, et sa femme, bien qu’elle commence