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une nouvelle grossesse, en a surveillé les travaux et vérifié les comptes. Les constructions étant finies, tout est prêt pour recevoir le ménage quand Suzanna, après être accouchée d’une fille, est brusquement atteinte du mal qui l’emporte en quelques semaines. Malgré le laconisme habituel de son journal, Constantin y laisse éclater sa douleur ; avec cette femme chérie, il a perdu « son âme, tout le charme de sa vie, » et il lui faut entrer dans cette maison qu’il avait disposée pour elle, seul désormais avec cinq jeunes enfans. Le coup était terrible et le malheureux époux resta un moment effrayé de la tâche qu’il avait à remplir. Mais, sans retard, il devait s’occuper de ces pauvres enfans. Huygens confia leur éducation à l’une de ses cousines, une nièce de sa mère, Catharina Suarius, femme sûre et dévouée qui, pendant plus de trente ans, conserva la conduite de sa maison. Quant à l’instruction des garçons, après avoir mis auprès d’eux un précepteur, il se réservait de la suivre lui-même, s’intéressant, ainsi que l’avait fait son père, à toutes leurs études. Dès cette année, en effet, il avait appris à Christian, le second de ses fils, les élémens de la musique et les progrès de l’enfant y furent tels que l’année suivante il pouvait chanter indifféremment une partie de ténor ou d’alto et qu’il s’essayait à composer. On sait qu’avec une précocité pareille à celle de son père, Christian devait manifester de bonne heure sa vocation marquée pour les mathématiques. Il était avide d’apprendre et, à peine âgé de quinze ans, il s’assimilait les principes de la mécanique. Très adroit de ses mains, il exécutait avec une rare habileté les modèles de toutes les machines qu’il avait vues ou qui lui avaient été décrites ; il trouvait lui-même des solutions ou des méthodes pour les plus hautes questions de cette science, et méritant du P. Mersenne, bon juge en ces matières, le surnom de petit Archimède, il préludait ainsi à l’invention du pendule et aux découvertes astronomiques qui ont rendu son nom à jamais célèbre.

De tels résultats témoignent assez de la sollicitude éclairée à laquelle ils étaient dus, et après avoir ainsi assuré la surveillance de ses enfans, Huygens avait pu reprendre son service auprès du prince presque aussitôt après la mort de sa femme. Soit que celui-ci ne pût se passer de l’aide de son secrétaire, soit qu’il voulût imposer à son chagrin l’utile diversion d’un travail forcé, Frédéric-Henri l’avait rappelé bien vite auprès de lui. Il fallut donc pour Huygens se remettre à cette vie active dont les occupations multiples apportaient quelque trêve à sa douleur. Mais il retrouvait avec tout son chagrin le sentiment de sa complète solitude en rentrant à son foyer. Ses amis avaient voulu le remarier ; il ne s’était