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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/585

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domaine privé. C’est à peine si, de loin en loin, il pouvait prendre quelque repos ou passer, comme il le fit en 1654, une saison à Spa pour se soigner. En 1661, il avait été chargé de suivre en France les négociations relatives à la principauté d’Orange occupée militairement par Louis XIV, et après quatre ans de séjour à Paris et dans le Midi, il obtenait la restitution de cette principauté à Guillaume III. Au moment même où il quittait la France, il avait eu de plus la satisfaction d’y voir son fils Christian appelé par Colbert qui, jaloux d’attacher à notre pays un savant de ce mérite, lui offrait une pension considérable et un logement à la bibliothèque du roi.

Après tant de travaux et à son âge, Huygens aurait eu le droit de se reposer. Mais, dès son retour en Hollande, nous le voyons reprendre le cours de ses nombreuses occupations, s’acquitter jusqu’au bout, avec sa conscience habituelle, de tous les devoirs de sa charge. Au mois de novembre 1670, malgré la saison et le mauvais état de la mer, il accompagne Guillaume III en Angleterre où il demeure presque une année entière. En 1672, à son grand contentement, son fils aîné Constantin, étant nommé secrétaire du prince, devient le collègue de son père. Ce dernier, avec toute son intelligence, a conservé son goût pour la musique, son amour pour les lettres, et une poésie écrite de sa main, au mois de novembre 1644, atteste encore toute la vivacité de son esprit, en même temps que l’élégante fermeté de son écriture. Quand il mourut, le 26 mars 1687, à l’âge de quatre-vingt-onze ans, il n’avait cessé que depuis deux ans de tenir régulièrement son journal, notant avec soin tous les événemens dont il croyait utile de conserver le souvenir.


II.

On a pu voir déjà quelle ardeur et quel dévoûment Huygens a montrés dans le poste qu’il occupait auprès des princes de la maison d’Orange. Ses Mémoires, publiés par M. Jorissen, nous permettent de mieux comprendre encore l’idée qu’il se faisait lui-même des devoirs de sa situation. L’un de ces Mémoires, en effet, a pour titre la Secrétairie du prince, et il a été écrit trois ans après la nomination de Constantin. Avec son intelligence si ouverte, il avait déjà pu se rendre compte de la nature des fonctions qui lui étaient confiées. Ce n’est pas sans appréhension qu’il les avait acceptées et la crainte de ne pas s’en tirer à son honneur « lui devenait effroyable. » Mais il voit clair maintenant et, loin de grossir les difficultés dont il a dû triompher, il ne les estime que pour ce qu’elles valent. Il a reconnu que le désordre avec lequel les affaires étaient traitées jusque-là « ne servaient qu’à jeter un faux éclat sur des travaux