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commis, abusant de la faveur dont il jouissait auprès de la princesse Amalia de Solms, exploitait honteusement les personnes qui croyaient que sa situation lui permettait de les servir en haut lieu. Huygens avait dénoncé ce misérable, et celui-ci s’en vengeait par les plus basses calomnies. Indigné, Constantin avait réclamé justice. En vain son beau-frère essayait de le calmer, lui conseillant de dédaigner des attaques aussi méprisables et contre lesquelles il n’avait d’ailleurs aucun recours. La santé de Frédéric-Henri avait, en effet, rapidement décliné, et comme l’écrivait l’ambassadeur de France à Mazarin (décembre 1647 : « Ce bon prince deschet toujours, et son autorité avec lui… Ce n’est plus qu’une masse de chair animée par ce cœur qui lui reste encore. » Huygens s’était alors tourné vers Amalia de Solms pour obtenir satisfaction. Mais celle-ci, à ce moment, commençait à pencher vers l’Espagne et cherchait par conséquent à évincer Huygens, qu’elle savait disposé en faveur de la France. Après plusieurs tentatives inutiles, Constantin reconnut qu’il serait indigne de lui de l’importuner plus longtemps. Il trouve « plus raisonnable de céder à l’iniquité, » et avec le ton de l’honnête homme froissé d’être ainsi méconnu, lui qui a « surservi » plus par affection que par intérêt, il ajoute que, « si Son Altesse continue d’agréer ce désordre, il se reposera sur son innocence, portant la tête haute, comme le peut et le doit un homme de bien. »

Après tant de bons et loyaux services, Huygens avait été profondément blessé d’une offense aussi imprévue que gratuite. Ce souvenir resta longtemps gravé dans son esprit. Huit ans après, revenant sur ce sujet, il tient à s’en expliquer dans un mémoire non destiné à la publicité et qu’il adresse à ses fils, jaloux qu’il est de l’honneur du nom qu’il leur laissera. À l’occasion de la demande faite par lui d’une charge pour l’aîné de ses enfans, demande qui n’avait pas abouti, il s’épanche librement avec eux des ennuis qu’il a éprouvés pendant sa carrière, surtout de ceux qui lui sont venus de « Mme la princesse aujourd’hui douairière de Son Altesse. » Sans parler de ce qui constituait ses obligations propres, il énumère tout ce qu’il a fait pour elle, la tenant, sur sa prière, au courant de la santé de son mari pendant qu’il était à la guerre. Ce qu’on lui a rendu de ses lettres ne monte pas à moins de trois gros volumes in-folio et il y avait quelque mérite à ce surcroît de besogne en des momens où il était accablé d’ouvrage, car « il était chargé seul de toute la milice et de cette infinité de dépesches qui en dépendent. » Que de difficultés aussi pour faire parvenir ces lettres à leur adresse, « quand les dangers des passages se mettaient entre la Hollande et lui ! » Afin de les dissimuler, « il s’exerçait la vue sur une sorte de petite écriture, qui en fort peu d’espace contenait quantité d’histoire et, bien souvent pliée, n’excédait pas le bout d’une plume ou la grosseur