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il ne manque pas, non plus, de communiquer ses œuvres à ceux qui peuvent les apprécier. En 1665, il adresse quelques-unes de ses pièces à une Mme de Gessan, abbesse de Montfleuri, pour qu’elle les fasse exécuter par ses religieuses. N’ayant rien reçu d’elle un an après, il écrit à un ami pour savoir « comment ses compositions auront été goûtées sur ce Mont-Parnasse. »

De retour en Hollande, Huygens s’efforce d’y attirer les artistes dont il admire le talent, et l’âge, sur ce point, ne refroidit point son ardeur. Il est ému quand il apprend, en 1676, que le maréchal d’Estrades a amené avec lui au congrès de Nimègue « un domestique, une des plus belles voix de France et sachant tous les airs nouveaux de l’Opéra. » Empêché de rendre visite au maréchal, il lui exprime du moins l’espoir que les musiciens qu’il a avec lui ne sortiront pas du pays sans pousser jusqu’à La Haye, et il insiste « pour qu’il se haste, pouvant juger combien peu de musique il lui reste encore à entendre à l’âge où il est. » Quelque temps après, Charles Hacquard, ce grand maître de musique, comme l’appelle Huygens, s’étant fixé à La Haye, Constantin écrit pour lui au prince Maurice de Brésil, afin d’obtenir qu’un jour par semaine, le samedi, l’artiste puisse donner des concerts dans la grande salle du palais de ce prince.

On le voit, rien ne lasse son ardeur quand il s’agit de cet art qui a été sa consolation dans ses peines, « ses divertissemens d’après souffrir et comme sa respiration après le travail de sa journée. » Il affirme que la musique a prolongé sa vie et que « beaucoup d’harmonie joint à quelque régime, ont fort contribué à le mener à tant d’âge où il se trouve à telle disposition que le monde semble le juger peu changé depuis une douzaine d’années ou deux. » De fait, son portrait peint par G. Netscher, en 1672[1], et dont il existe une belle gravure de Blotelingh, nous le montre encore avec ses traits fins et distingués. On serait fort en peine de mettre un âge sur cette figure aimable et sereine qui semble celle d’un homme de cinquante ans bien plus que d’un octogénaire. En dépit de la vieillesse et quoique la goutte ait ôté la force de ses doigts, il se dit encore en mesure d’accompagner passablement sur le théorbe. Il a composé plus de 800 pièces dans les genres les plus variés, et quiconque voudrait juger de l’état général de la musique à cette époque ne saurait mieux faire que de consulter les lettres de ce vieillard si enthousiaste, qui a des correspondans dans toute l’Europe parmi les exécutans, les compositeurs, les collectionneurs ou les facteurs d’instrumens et « qui ferait encore

  1. Aujourd’hui, au Ryksmuseum d’Amsterdam ; n° 1019 du catalogue.