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Huygens était devenu un homme accompli ; mais il ne cessa jamais de témoigner son affection reconnaissante à ses parens et sa respectueuse déférence pour leur volonté. La plus étroite union régnait d’ailleurs entre tous les membres de cette famille et la mort de son père et de sa mère, celle de Christian, son frère aîné, causèrent à Constantin un profond chagrin dont il a consigné dans son journal la touchante expression. Quand il songea à s’établir, il avait rencontré chez sa compagne, avec les qualités solides qu’il recherchait par-dessus tout, un esprit vif, aimable et enjoué. Aussi, après s’être acquitté des devoirs de sa charge, avec quelle hâte il rentrait à son cher foyer ! Quelle affliction, aussi, lorsqu’il perdit cette épouse bien-aimée ! On sait avec quel dévoûment, fidèle à sa mémoire, il s’était ensuite consacré tout entier à l’éducation des enfans qu’elle lui avait laissés, cherchant à faire de tous des hommes utiles et distingués, cultivant en particulier chez son fils Christian les dons exceptionnels qu’il manifesta dès son plus jeune âge. Ses enfans, c’était l’honneur et la parure de sa vie, l’objet de ses constantes préoccupations. Un tableau du musée de La Haye[1], qui ornait autrefois sa demeure, nous montre son portrait peint en 1640, entouré, comme d’une gracieuse couronne, des médaillons de ses cinq jeunes enfans, avec l’inscription : Ecce hereditas Domini. Sans se faire illusion sur leur compte, il prépare de loin l’avenir qu’il juge le mieux en rapport avec les aptitudes de chacun d’eux. Il veut aussi qu’après lui ils connaissent les détails de son existence et il tient à leur expliquer les mobiles de ses actions ainsi que des déterminations les plus importantes qui les concernent.

Ses princes, du reste, lui sont presque aussi chers que sa famille, et nous avons vu avec quelle abnégation il les a servis pendant les soixante-deux ans qu’il a rempli auprès d’eux les fonctions de secrétaire. Son esprit d’ordre, sa ponctualité, sa connaissance de l’administration, des finances, de la politique extérieure, la précision, la netteté de son style, sa discrétion, toutes ses qualités naturelles ou acquises, il est heureux de les employer pour eux. Quoi qu’on attende de lui, il est prêt ; toutes les tâches, il les accepte. On comprend dès lors quel froissement il ressentit lorsqu’il vit suspecter sa fidélité. Après un premier moment de douloureuse surprise, il reprit cependant, auprès même de celle qui l’avait ainsi offensé dans son honneur, sa place accoutumée, oublieux d’une injure si peu méritée, prolongeant jusqu’à l’extrême

  1. Ce tableau, qui pendant longtemps avait passé pour être de Van Dyck, est, en réalité, d’A. Hanneman, un élève d’Antoni Ravesteyn et de Mytens, mais qui subit à Londres l’influence de Van Dyck dans les dernières années de la vie de ce maître.