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cet âge sans pitié pour les archéologues, l’ont usé et lacéré jusqu’à la dernière feuille. On ne le trouve ni à la Bibliothèque nationale, ni à l’Arsenal, ni à Sainte-Geneviève, ni à la Mazarine si riche en livres de ce genre, ni même à Poitiers, où il a été imprimé pour la première fois.

La même année, paraissait la Civile honesteté pour les enfans avec la manière d’aprendre à bien lire, prononcer et escrire, par G. de Calviac (Paris, 1559), qui serait, d’après Lacroix du Maine, la reproduction du livre de Mathurin Cordier. Ce livre rarissime[1] est imprimé avec les nouveaux caractères typographiques, imitant l’écriture cursive, inventés par Robert Granjon. Ces lettres françoises de main comme on les appelait à l’origine, ont pris le nom de caractères de civilité depuis qu’elles ont servi à l’impression de presque tous les recueils de ce genre.

La Civilité puérile distribuée par petits chapitres et sommaires, à laquelle avons adjoustè la discipline et institution des enfans, traduitz par Jehan Louveau (Anvers, 1559), comme la Civilité puérile de Jean de Tournes (1569), et toutes les autres Civilités du XVIe siècle, sont encore des traductions ou des paraphrases d’Érasme ; le plan, les divisions et les principes sont les mêmes à peu de choses près.

Quelle tenue on doit avoir dans le monde, quelles expressions, quels gestes il convient de corriger, comment on doit marcher, regarder, tousser, bâiller, s’asseoir, tenir la tête, le corps, les mains, les jambes, tous ces préceptes n’ont pas vieilli depuis la renaissance, et notre jeunesse ferait sagement de les méditer ; elle n’y perdrait rien. Dans ce temps-là comme aujourd’hui, les gens à la mode adoptaient certaines attitudes, certains gestes particuliers qui constituaient le suprême bon ton, par exemple : « avancer les lèvres de temps à autre pour faire entendre une sorte de sifflement, habitude familière aux princes qui se promènent dans la foule ; » — « jeter son manteau d’un seul côté ou le faire tomber en arrière jusque sur les reins ; » — « se dandiner en marchant, claudication ridicule, dit Érasme, qu’il faut laisser aux soldats suisses, bien qu’elle soit du goût de certains courtisans ; » — « se tenir debout, ou s’asseoir, une main appuyée sur l’autre[2], ce qui passe pour une posture élégante et qui sent son homme de guerre. » — « Chez les Italiens, dit encore Érasme, pour faire honneur à quelqu’un, on pose un pied sur l’autre et l’on se tient à

  1. L’exemplaire dont je me suis servi m’a été très obligeamment prêté par M. le baron Pichon.
  2. Comme sur le pommeau d’une épée.