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Mais comment s’y prenait-on pour manger avec les doigts ? Les Civilités vont nous l’apprendre.

Une fois les mains lavées, cérémonie qui se pratique au moyen d’un bassin plein d’eau parfumée que l’on passe de main en main avec force politesses, un enfant dit la bénédiction et l’on se met à table. Devant chaque convive est le tranchoir, plaque de métal, de bois, ou de pain bis très épais, ronde ou carrée, sorte de coussin sur lequel on coupera la viande. « Le verre à boire se place à droite, ainsi que le couteau à couper la viande, bien essuyé ; le pain à gauche. La serviette sur l’épaule ou sur le bras gauches (Érasme). » On voit qu’il n’est question ni de fourchette, ni même de cuiller.

Les viandes se passent généralement toutes découpées ; chacun « prend avec trois doigts ce qui lui est offert, ou tend son tranchoir pour le recevoir (Érasme) ; » et Calviac ajoute : « On coupe la viande en menus morceaux sur le tranchoir, il ne faut point porter la viande à la bouche tantost d’une main, tantost de l’autre ; mais que tousjours on le face avec la main droite, en prenant honestement le pain ou la chair avec trois doigts seulement. » Si la viande est grasse et pleine de jus, « il est grossier d’y plonger les doigts ; mais on prend le morceau que l’on veut avec son couteau, » pour le porter sur le tranchoir. Les gâteaux et les pâtés se prennent avec la cuiller posée dans le plat : « On renverse le morceau sur son tranchoir, et on rend la cuiller (Érasme). »

Si l’aliment est liquide, une sauce par exemple, — car les sauces se servaient séparément, dans des plats creux ou des écuelles, « on y trempe sa chair après les autres, si les autres y trempent leur pain, on pourra aussi tremper le sien honnestement, et sans le tourner de l’autre costé après qu’on l’aura trempé de l’un, ny le gadrouiller dedans le plat (Calviac). » S’il y a une cuiller dans l’écuelle, « on peut la prendre pour y goûter, mais on la rend après l’avoir essuyée à la serviette (Érasme). » Les potages sont également servis dans des écuelles. Un jeune Suisse, Flatter, étudiant la médecine à Montpellier, raconte ainsi[1] Le dîner chez son maître, le célèbre Catelan, où il était logé : « Les jours gras, à midi, on mange une soupe garnie de naveaux ou de choux ; elle est au mouton, rarement au bœuf ; ce bouillon est peu abondant. On mange cette soupe avec les doigts, chacun dans son écuelle. » Ailleurs, il dit encore : « Comme nous mangions la soupe à la mode du pays, c’est-à-dire en la prenant avec les doigts pour boire ensuite le bouillon, un des nôtres chercha noise bien gratuitement à l’hôtesse pour avoir une cuiller, car il n’en existait point dans la maison, et nous n’avions sur la

  1. Flatter, Voyage en France ; Montpellier, 1892.