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de sa misère lorsqu’elle saisit l’occasion de s’étaler abondamment au grand jour. Il serait cruel de citer des noms qui sont sur toutes les lèvres, mais, cette année encore, dans les deux Salons, que d’avortemens douloureux, que de chutes prématurées, toutes dues à l’insuffisance technique et à l’impuissance matérielle ! On a, depuis un certain temps, si chaudement, si éloquemment prêché aux artistes, de toutes parts, l’inutilité des longues études, les dangers de la tradition, on leur a si bien inculqué le mépris de l’expérience et des maîtres, la passion infatuée de toutes les ignorances, la soumission à tous les caprices de la mode et à toutes les exigences de la réclame, que nous devions tôt ou tard en arriver au point où nous en sommes. Ce spectacle est-il assez lamentable pour que la génération nouvelle en retire un profitable enseignement et ne s’expose pas, par la même légèreté, à faire banqueroute à son tour ? C’est ce qu’il est permis d’espérer. Les efforts visibles, bien que encore insuffisans, qu’un certain nombre d’artistes, jeunes ou vieux, ont faits, cette année, de part et d’autre, tant au Champ de Mars qu’aux Champs-Elysées, pour se ressaisir dans cette débâcle et reprendre un peu plus de tenue, semblent indiquer déjà quelques préoccupations dans ce sens.

À mesure que les années passent, la scission entre les deux groupes, au point de vue de l’art, devient d’ailleurs de plus en plus inexplicable. Cette scission, sans doute, en excitant l’émulation entre les deux sociétés rivales, a eu pour effet de hâter, dans l’organisation matérielle des Salons, certains progrès auxquels le public s’est montré sensible ; peut-être même n’a-t-elle pas été sans utilité, comme nous venons de le dire, pour établir le bilan réel de nos forces disponibles, et pour amener des deux côtés de salutaires réflexions, ici, sur les inconvéniens d’une soumission excessive aux enseignemens scolaires, là, sur les dangers de l’inexpérience et de la précipitation dans la recherche des nouveautés. Quelque effort qu’on ait fait, toutefois, pour justifier théoriquement cette séparation, en lui attribuant pour cause une incompatibilité de principes, le visiteur impartial ne saisit plus guère, entre les deux Salons, de différences notables, au point de vue du système et des tendances. N’était que la grande quantité de toiles exposées par un même artiste au Champ de Mars y développe plus largement, et pas toujours à son profit, sa personnalité, et que les portes y sont plus grandes ouvertes aux excentricités hasardeuses, on y remarque, parmi les ouvrages de mérite, la même diversité dans l’esprit et dans l’exécution, qu’au palais des Champs-Elysées. Là comme ici, quelques maîtres, déjà mûrs, sans nous révéler rien d’inattendu, tiennent encore la tête, par ce seul