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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/675

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ce tableau emportât tous les suffrages. En tout cas, pour M. Léandre, jusqu’à présent connu par des études de petites figures, délicates et un peu frêles, dans des intérieurs soigneusement étudiés, c’est là un témoignage de progrès décisif, et l’affirmation d’une intelligence active et ouverte qui, ne se laissant pas leurrer par les apparences, comprend à son tour la nécessité de soutenir ses harmonies par un fond plus sérieusement construit. Le Concours des bébés à la mairie de Passy et le Jubilé Pasteur, par M. Laurent-Gsell, montrent la même direction d’esprit ; mais ici, plus encore, sous l’expansion agréable de la lumière, on désirerait une fermeté plus réelle et un caractère mieux défini dans les figures éclairées.

Les peintres de portraits isolés n’ont point à se préoccuper, autant que les peintres de groupes, de l’agrément du milieu dans lequel ils les placent. La monotonie d’un fond uni, opaque ou transparent, réel ou conventionnel, dégageant la figure de tout accessoire étranger, la fixant, par conséquent, d’une façon plus nette, dans l’œil et dans l’esprit du spectateur, sera même, selon les apparences, toujours chère aux artistes supérieurs qui visent à exprimer le caractère intellectuel et moral de leur modèle plutôt qu’à reproduire ses apparences passagères et superficielles. Les deux plus beaux portraits du Salon, celui de Mme Donnat mère, par M. Bonnat, et celui de Mme veuve Émile Raspail, par M. Jules Lefebvre, doivent, en partie, leur gravité saisissante à cette expressive simplification des fonds et des vêtemens qui permet aux yeux de se reposer longuement, sans distraction inutile, sur les physionomies noblement résignées et endolories de ces deux femmes en deuil. La première, assise, nu-tête, en robe de velours, est une personne âgée, et M. Bonnat, avec sa franchise accoutumée, n’a pas manqué d’accentuer, en elle, les signes de la vieillesse, par les procédés vigoureux dont il dispose ; la seconde, d’apparence beaucoup plus jeune, se tient debout, coiffée d’un chapeau de crêpe, avec une ruche blanche, et M. Jules Lefebvre a défini son visage et ses mains avec l’extrême précision qui lui est particulière. Tous deux, l’un, le robuste manieur de pâtes, et l’autre, le chercheur attentif des contours, sont arrivés, par les chemins les plus divers, à se rencontrer dans la même façon élevée de sentir, sinon d’exprimer, et tous deux ont fait des œuvres supérieures, sur les tendances desquelles on peut discuter, mais dont on ne saurait contester l’égale excellence. Le portrait, vif et pénétrant, d’un homme âgé, maigre, distingué, nerveux, par M. Morot, est compris de la même façon, quoique avec moins de maîtrise. On a remarqué encore, dans cette catégorie, les peintures énergiques et graves, de M. de Pochwalski, de Cracovie (Portraits de S. E. le Comte