Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/685

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ceux qui verront bien et qui seront de vrais artistes, le charme poétique viendra par surcroît, comme il est venu pour Corot ; mais on ne rêve bien que lorsqu’on a récolté la matière de son rêve et il faut toujours commencer par l’étude et par l’observation.

Sous ce rapport, heureusement, nous pouvons être rassurés. Le Salon des Champs-Elysées abonde en études loyales, sérieuses. On n’a qu’à se tourner presque au hasard pour en rencontrer. Si l’on aime les paysages du centre, un peu plats, mais avec de beaux ciels, en été, gais, multicolores, chaleureux, voici les Carrières-Charenton, de M. Guillemet, le Marais, de M. Yon, la Batteuse de M. Rigolot, les Sainfoins, de M. Quignon ; si vous ne détestez pas l’hiver, vous avez des effets de neige puissamment exprimés, la Ville-d’Avray, de M. Simonnet, et l’Effet de neige au coucher du soleil, de M. Hippolyte André ; s’il vous faut des verdures de printemps ou d’automne, vous avez MM. Sain, Biva, Bourgeois, puis la troupe des Francs-Comtois, MM. Isenbart, Boudot, Japy, Gros, bonnes gens, ronds et francs, parmi lesquels M. Pointelin, avec ses Côtes du Jura, si délicatement entrevues, tient une place à part, celle du rêveur. M. Nozal travaille pour ceux qui ont le goût des effets nouveaux et compliqués ; son étude des Sables près Saint-Pair est des plus curieuses et intéressantes. Aux âmes mélancoliques, ce sont deux étrangers qui parleront le mieux, M. Calderini, de Turin, avec une terrasse déserte et humide. Tristesse d’automne, et M. Denduyts, de Gand, avec un bois effeuillé et noir, les Bûcherons. Les Méridionaux, en particulier, ont joyeusement donné, et MM. Olive, Gagliardini, Allègre, Martin, Nardi, ont été rarement plus heureux. Une recrue étrangère qu’ils viennent de faire, M. Picknell, un Américain, travaillant aussi en Provence, leur fait honneur par la franchise de sa vision et la netteté de son exécution. Remarquons en outre que le plus grand nombre des bons morceaux de peinture, peints de main d’ouvrier, pouvant faire figure honorable dans des collections ou des musées, sont dus à des artistes faisant des animaux ou des natures mortes, c’est-à-dire s’exerçant dans des genres qui touchent au paysage ; tels sont, par exemple, le petit cuisinier fumant, au milieu de ses cuivres, après Besogne faite, par M. Joseph Bail, le Gras pâturage, de M. Marais, l’Appel et la Vallée du Mouzon, de M. Barillot. Parmi tous ces artistes vivant en plein air, d’une vie simple et naturelle, parmi les paysans, le nombre est grand encore de ceux qui ne se sont pas laissé entamer par les théories nébuleuses dont se troublent les esprits inquiets des citadins. C’est par les paysagistes, une seconde fois, que nous reviendra la santé.


GEORGE LAFENESTRE.