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récités par les élèves des jésuites à la louange du saint-sacrement et en faveur de la paix. Son excellence, disait-il, accoutumée à l’air du pays, dévorait tout cela avec une patience germanique ; il pensait, quant à lui, comme l’ambassadeur de Venise, M. Contarini, que ces Tedeschi ne savaient rien abréger, qu’ils étaient longs en toute chose, mais surtout à l’église et à table.

On croira sans peine que cet homme d’humeur bilieuse, incapable de garder pour lui ce qu’il avait sur le cœur, ne resta pas quatre ans à Munster sans se faire plus d’un ennemi. En Hollande, il s’était donné le plaisir de dire leur fait aux ministres protestans ; il piqua au vif les jésuites de Munster, en critiquant des anagrammes, dans lesquelles il avait relevé quelques impropriétés de langage. Le père Mulmann ne digéra pas cet affront, il répondit incontinent par un écrit intitulé : Vindiciæ anagrammatum. Il Ces gens ne souffrent pas volontiers qu’on trouve la moindre chose à redire à leurs ouvrages ; ils écrivirent donc leurs Vindiciæ comme si j’avais abattu les autels de la Vierge. » Qu’aurait-il dit lui-même si les jésuites avaient trouvé quelque chose à reprendre dans ses sonnets et ses sermons ? Le colérique Trissotin n’a jamais compris que Vadius se fâchât. Est-il besoin d’ajouter qu’il se hâta de répondre au père Mulmann et à ses Vindiciæ ? Il s’attendait à une réplique, à laquelle il eût sûrement riposté ; mais je ne sais par quel miracle, l’affaire en demeura là, et on continua de se voir, de se faire bon visage, en se détestant.

Cependant, s’il se fit des ennemis, il sut aussi se créer quelques relations d’amitié. Il avait eu la bonne fortune de retrouver parmi les secrétaires et les conseillers des plénipotentiaires d’Espagne un Comtois, M. Brun, qu’il avait vu autrefois à Paris et qui comme lui avait hanté MM. de Vaugelas, Méziriac, Faret, et « ce cher M. Colletet. » — « Tandis que leurs excellences s’entretenaient, nous nous mêlâmes avec leurs gens dans tous les termes de civilité et de familiarité qu’on se peut imaginer, de sorte que l’on nous eût pris pour des amis qui se rencontrent après une longue absence. » Il sut aussi se gagner les bonnes grâces d’un des doctes de la Westphalie, Bernard Mallinkrot, doyen du chapitre de Munster, dont le savoir étonnait d’autant plus qu’il passait ses journées à régaler ses amis et ne donnait à l’étude qu’une partie de ses nuits. Ogier lui savait gré d’être seul exempt de la barbarie westphalienne, « et de mettre aussi souvent sur son nez le verre de ses lunettes pour étudier les bons livres que celui de son vase pour boire le vin du Rhin et de la Moselle. » Ils dissertaient ensemble sur les livres anciens et nouveaux, « sur ces étoffes de papier rayé qui arrivaient en abondance d’Amsterdam et de Francfort. »

Ogier était curieux, et c’est une grande ressource contre l’ennui. Mallinkrot le combla de joie en lui montrant « l’ancien et fameux original exemplaire du Speculum humanæ salutis, que l’on tient avoir été