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de monde. » Toutefois la première impression d’Ogier ne fut pas favorable ; il trouvait que « ce monde n’approchait ni en politesse, ni en beauté, ni en richesse, de celui qu’il venait de quitter en Hollande. »

Quinze jours après, le clergé de Munster fit une procession générale pour la paix, où les ambassadeurs d’Espagne ne parurent point. L’évêque cheminait avec le saint-sacrement sous un dais, porté par les principaux bourgeois et entouré d’enfans vêtus en anges. Devant lui marchaient les vingt-quatre pages de MM. d’Avaux et Servien, tenant à la main des flambeaux de cire blanche, les cordeliers, les grands chanoines, tous gentilshommes, auxquels Ogier reprochait « leur mine soldatesque et leurs grands vilains cheveux. » Ils avaient pour satellites les chantres du dôme, qui formaient une singulière corporation. On n’y était admis qu’à la condition de savoir la musique et d’observer le célibat. Arrivait-il que l’un de ces chantres eût une liaison et devînt père, il était condamné pour toute amende à offrir un banquet à ses collègues et un tonneau de bière à l’accouchée. Ayant ainsi réglé ses comptes avec le ciel, il recouvrait son honneur, à moins qu’il n’eût fait la sottise de se marier, auquel cas il était mis à pied.

Si belle qu’eût été la procession du 10 avril, la paix désirée de toute l’Europe devait être lente à se conclure ; les chantres, les chanoines et les peuples proposent, ce sont les politiques qui disposent. Ogier ne se faisait point d’illusions ; on l’aurait cependant bien étonné si on lui avait annoncé que quatre ans plus tard il serait encore à Munster, sans que les affaires fussent beaucoup plus avancées que le premier jour. Il tâchait de prendre patience, tout en se plaignant que le séjour de la Westphalie lui offrît peu d’agrément. Garasse l’avait injustement traité de hauteur de cabarets ; il était ennemi des excès et reprochait aux Allemands d’aimer trop à boire. Il fallait tenir tête à ces intrépides videurs de pots et de bouteilles, et il maudissait la figure de leurs grands verres, semblables à de longues flûtes. On remarqua que presque tous les Français, après avoir passé quelque temps à Munster, eurent mal aux yeux. Des médecins s’en prenaient à l’air « épais et nubileux » de la Westphalie ; la vérité était « que le service du roi obligeait quelquefois les plus modérés à ne pas observer si sévèrement les règles de la tempérance. »

Il y avait dans les mœurs westphaliennes d’autres choses qui déplaisaient à l’aumônier du comte d’Avaux. Il assista un soir à une procession de pénitens, sous la conduite des pères capucins, et il éprouva plus de surprise que de plaisir à voir une trentaine d’hommes qui se fouettaient à tour de bras et jusqu’au sang, trente autres qui tenaient leurs bras attachés à une croix. Il trouvait qu’en général les Allemands abusaient des exercices de pénitence. Leurs cérémonies duraient parfois trois grosses heures, avec accompagnement de musique, de violes, de trompettes, de cornets, de sacquebutes et de poèmes ïambiques