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qu’ils étaient à Munster, ils s’étaient beaucoup remués pour ne rien faire, « qu’ils ressemblaient à un homme qui dort et qui cependant est travaillé d’un songe inquiet et laborieux qui le met tout en sueur, sans qu’il puisse espérer aucun fruit de tant de peines. » Il en prenait à son aise avec les souverains ; il s’écriait : « Une place de plus, une place de moins, peut-elle enrichir un grand roi de France, peut-elle appauvrir un puissant roi d’Espagne ? » Et il comparait le roi très chrétien à un océan que tous les fleuves qui s’y répandent de tous côtés ne peuvent augmenter, le roi catholique « à un fossé d’une excessive longueur, à qui plus on le creuse, plus on lui ôte de terre, et plus on le rend grand et large : sa diminution fait sa grandeur et sa force, il croît de son dommage et peut servir quelquefois de précipice à ses adversaires. »

Je ne sais si les plénipotentiaires espagnols goûtèrent beaucoup cette audacieuse figure de rhétorique, s’ils trouvèrent bon que l’orateur comparât leur maître à un fossé. Il se rapprocha davantage de la véritable éloquence quand il parla du Turc, qui, mettant à profit les discordes de la chrétienté, bâtissait déjà ses mosquées sur les ruines de la misérable Candie, et lorsque, se souvenant que Munster n’était pas loin du lieu où des légions romaines furent massacrées par Arminius, il rappelait le cri d’Auguste et ajoutait : « Ah ! messeigneurs, qu’il est à craindre que ce souverain devant qui les rois et les empereurs sont incomparablement moins que Varus devant Auguste, ne leur die un jour avec une voix tonnante dans sa divine fureur : Ludovice, Philippe, redde legiones, rendez-moi compte de mes armées, de mes légions et de mes peuples ! » Ce discours est sans doute le meilleur qu’Ogier ait jamais prononcé, le seul où il ait mis un peu de son cœur, un peu de son âme, un peu d’amour et de colère, et où l’on sente quelque chaleur de conviction. C’est qu’il désirait sincèrement et ardemment la paix, car il commençait à sécher d’ennui à Munster, il frémissait à l’idée d’y laisser ses os, il avait le mal du pays. Les livres ne lui manquaient pas et Mallinkrot était le plus docte de tous les doyens allemands ; mais Mallinkrot buvait trop, et les livres ne sont pas tout. Il avait découvert en Westphalie « qu’il faisait plus d’état d’un honnête homme vivant et respirant que de toutes les librairies de la rue Saint-Jacques, » et il lui tardait de revoir ses amis. Si Mlle de Gournay, si Faret venaient de mourir, il lui restait Claude Joly, il lui restait Vaugelas et le cher M. Colletet, et il soupirait après eux. L’ennui fait des miracles ; faut-il s’étonner si, une fois dans sa vie, il fut presque éloquent ?

Malheureusement ni ses ballets ni ses sermons n’avaient la vertu de stimuler le zèle des paresseux ou d’adoucir le caractère épineux des faiseurs de difficultés. « Monsieur, écrivait-il à Joly, le 11 novembre 1647, il ne faut point vous enquérir trop curieusement de ce qui se passe en ce pays-ci : on y fait les mêmes choses qu’on faisait l’an passé. Le