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traité de paix se réchauffe toujours l’hiver et se refroidit au printemps. Médiateurs écoutent, plénipotentiaires proposent, secrétaires trottent, et force gens de bien en soupent à onze heures du soir. Cette inquiétude tiendra l’assemblée jusqu’environ la fin de février, puis nous reprendrons notre poste, je veux dire notre repos ordinaire, et les généraux d’armées se mettront en campagne et travailleront à leur tour. Ainsi gens de paix et gens de guerre ont leur emploi successivement, et personne ne peut se plaindre. » Ceux qui se plaignaient le moins étaient certains conseillers, certains secrétaires, tels que les docteurs Brun et Wolmar, qui touchaient de dix à douze mille francs d’appointemens, et n’étaient point impatiens de retourner chez eux. « C’est ici la plus favorable station où ils se puissent jamais trouver. Jugez par là, monsieur, lesquels d’eux ou de nous sont dans une prochaine disposition de déloger et si nous ne devons pas nous résoudre à mourir ici. »

L’ouverture des négociations n’ayant pas été précédée d’un armistice, pendant qu’on traitait à Munster, Impériaux, Suédois, Français, Espagnols, se battaient partout, au nord et au midi, à l’est comme à l’ouest. Chacun se flattant que le sort des armes lui serait favorable, les négociateurs se réservaient, pelotaient en attendant partie. On apprenait tour à tour que les Français avaient essuyé une défaite à Lerida, que Fribourg en Brisgau, assiégé par l’armée bavaroise, avait ouvert ses portes, ou que le duc d’Anguien avait pris Philippsbourg et que dans l’espace d’une semaine Spire, Worms, Mayence s’étaient rendues, que le général suédois Torstenson venait de mettre en déroute les Impériaux près de Tabor et que l’archiduc Léopold s’était retiré en hâte de Prague à Passau. Selon les nouvelles qu’on recevait, les uns devenaient plus souples, plus accommodans, les autres augmentaient leurs exigences, revenaient sur leurs concessions, et on recommençait à battre l’eau.

Au surplus, l’une des puissances belligérantes semblait résolue à traîner les choses en longueur et ne traitait que pour la forme. C’était l’Espagne. Dès les premiers jours du congrès, quand ses plénipotentiaires furent appelés à communiquer leurs pouvoirs, on s’aperçut qu’ils étaient tenus de ne rien faire, de ne rien conclure, avant de s’être mis d’accord avec ( d’autres plénipotentiaires qui étaient restés en Espagne et dont personne ne savait le nom. Ogier remarquait fort justement qu’il était difficile de travailler avec des gens qui ne pouvaient rien décider sans leurs collègues absens, lesquels ne viendraient peut-être jamais. Quatre ans plus tard, le comte de Penaranda, vivement pressé par le médiateur vénitien, lui confessa qu’il n’avait pas de pouvoirs en règle, et lui fit entendre que le courrier qui les lui apporterait n’avait pas encore donné l’avoine à son cheval.

L’Espagne avait eu l’adresse de faire sa paix particulière avec la Hollande. On avait appris avec étonnement « que les archicatholiques,