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renonçant à la médiation du saint-père et de la république de Venise, se jetaient dans les bras de leurs rebelles archihuguenots. » On assurait que l’argent avait joué son rôle dans cette affaire, que les Espagnols avaient distribué 12,000 richsdales aux femmes des plénipotentiaires des États. « Quatre bourses de velours, écrivait Ogier, faites en un certain endroit par ordre d’un secrétaire d’Espagne et une notable somme partagée en quatre par un certain homme en donnent des conjectures bien fortes. » Si fâcheuse que fût l’insurrection de Naples, le cabinet de Madrid, n’ayant plus rien à craindre de la Hollande, était moins traitable que jamais. « Les Espagnols, écrivait encore Ogier, sont aussi froids que s’ils avaient gagné quatre batailles et se font rechercher comme s’ils tenaient encore les enfans de France en otage. Le comte de Penaranda prend les eaux de Spa à deux heures d’ici et ne voudrait pas interrompre son régime pour sauver Naples et la Sicile. Il doit venir pourtant la semaine qui vient ; mais je crains bien qu’alors nos plénipotentiaires n’aillent aux champs pour prendre des eaux de Forges ou de Bourbon. »

À la vérité, entre la France et l’Empire, les affaires allaient mieux. Dès le 13 septembre 1646, un compromis avait été signé chez le comte de Trautmannsdorf, et les plénipotentiaires français s’étaient faits forts d’obtenir l’adhésion de leurs alliés les Suédois aux propositions des impériaux. Les Suédois, après une longue résistance, semblaient disposés à conclure, quant à leur tour les diplomates français se refroidirent. Ils s’étaient dit que du jour où l’Empire aurait fait sa paix séparée avec la France, les troupes allemandes licenciées se porteraient au secours de l’Espagne, qu’elle en deviendrait plus insolente. Renonçant cette fois à toute espérance, Ogier ne douta plus qu’il n’eût encore « quelques olympiades au moins » à passer à Munster. Il se trouvait à l’étroit dans l’appartement qu’il occupait chez son excellence ; il loua trois chambres de plain-pied chez un chanoine du Dôme, et il s’y installait pour le reste de ses jours lorsque survint un incident.

Ce n’était un secret pour personne que deux des plénipotentiaires français, Servien et le comte d’Avaux, s’aimaient peu. L’un était un mauvais coucheur, il avait le caractère sombre, tracassier, jaloux ; l’autre, aussi fier que poli, était résolu à ne rien sacrifier de ses droits. Questions de préséance, politique, diplomatie, ils ne s’entendaient sur rien ; les zizanies dégénéraient en de vives altercations, et ces incessantes querelles contribuaient encore à retarder la conclusion d’une paix que désiraient toute l’Europe et François Ogier. Il s’en plaignait en prose et en vers :


Pourrait-on bien calmer les troubles de l’Europe
Avec deux députés qui se battent en flanc,
Qui veulent s’arracher et la vie et le sang.
Ne s’accordant non plus qu’Ulysse et le Cyclope ?..