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forcer à quitter le continent. Napoléon était parti pour la France ; il se trouvait, dès le 23 janvier 1809, rentré dans son palais des Tuileries. Nous ne le reverrons plus de l’autre côté des Pyrénées, et, pendant cinq années de combats, Espagnols et Français souffriront également, sans qu’il daigne les secourir, tous les maux que peuvent entraîner les deux fléaux réunis de la guerre civile et de la guerre étrangère.

Quel était le motif qui avait pu le forcer, en janvier 1809 à un retour si précipité dans sa capitale, alors qu’il restait tout à faire pour soumettre l’Espagne ? Malgré les assurances que l’Autriche lui avait fait donner à Erfurt, il n’avait pu ignorer longtemps que les armemens de cette puissance continuaient avec une activité qui annonçait des projets fort sérieux. Il avait été enfin informé que, cédant aux instigations de l’Angleterre, elle se disposait à profiter de son éloignement pour franchir ses frontières, envahir la Bavière, porter la guerre sur les bords du Rhin et opérer ainsi la délivrance de l’Allemagne. L’occasion était belle, pour tenter une si grande entreprise. La diminution des forces françaises dans les provinces allemandes n’était pas douteuse, puisque l’empereur avait dû conduire de l’autre côté des Pyrénées l’élite de ses bataillons. Tout, en effet, s’ébranlait dans les États de l’Autriche, lorsque Napoléon accourut pour faire face à ce nouveau péril. Ce moment dans sa vie est un de ceux où son âme a dû être en proie aux plus vives agitations.

Indépendamment de cette agression, il était encore fondé à concevoir les soupçons les plus graves sur des intrigues qui s’agitaient au sein de son gouvernement et qui devaient faire supposer de très mauvaises intentions. J’ai dit quelles avaient été les dispositions et les menées de M. de Talleyrand pendant son séjour à Erfurt. Le rôle qu’il y avait joué, bien qu’il eût affecté d’en être satisfait, ne l’avait pas rassuré, et il s’était aperçu que la grande influence, qui lui avait appartenu si longtemps dans les affaires et sur la conduite de Napoléon, était irrévocablement perdue.

Napoléon avait à peine franchi les Pyrénées et fait quelques pas sur la route de Madrid, que déjà l’aigreur et le mécontentement de M. de Talleyrand se manifestaient. Il me fut impossible d’en douter, lorsque je le revis, à mon retour de Mayence, dans la maison où j’avais l’habitude de le rencontrer. Les plus sinistres prédictions commençaient à sortir de sa bouche, et il était de ceux qui paraissaient croire que la personne même de l’empereur échapperait difficilement à la vengeance des Espagnols. Ce fut alors enfin que je l’entendis pour la première fois blâmer ouvertement la conduite qui avait été tenue à Bayonne. Toutefois il n’attaquait pas