Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/779

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hors de ligne. Nul n’inspirait plus de confiance aux soldats, c’était un de ces hommes qu’on ne remplace pas. Compagnon de fortune et de gloire de Napoléon, dès ses premiers pas dans la carrière, il était peut être aussi, entre tous ceux qui avaient grandi à ses côtés, celui qui lui portait l’attachement le plus sincère. Sa perte ajouta donc beaucoup à la grandeur de l’échec. Je tiens du général Nansouty que, repassant avec sa division de cavalerie sur le pont qui communiquait encore à l’île de Lobau vers le milieu de la seconde journée, il trouva l’empereur arrêté à la tête de ce pont, et, lui ayant rendu compte de la triste situation des affaires sur le champ de bataille, il n’en put obtenir d’autre réponse que celle-ci : « Que voulez-vous ? on n’a cependant jamais passé les fleuves autrement que sur des ponts. » Ces paroles suffisent pour dénoter les reproches qu’il se faisait à lui-même ; mais, s’il fut un moment abattu, la force de son caractère ne tarda pas à le relever, et, comme après la bataille d’Eylau, il fut prodigieux par la fermeté de son attitude, la vigueur et la prudence de ses résolutions. L’audace de son campement dans l’île de Lobau fut, s’il est possible, plus admirable que celle de son hivernage sur les bords de la Vistule.

Par un décret daté de Vienne, l’empereur avait réuni les États romains à l’empire français. Le pape conservait seulement la faculté de résider à Rome avec un traitement de 2 millions. On lisait dans le préambule du décret, « que l’influence spirituelle, exercée en France par un prince étranger, était contraire à l’indépendance de l’État, injurieuse à son honneur, menaçante pour sa sûreté ; que l’empereur ne faisait que révoquer les dons que Charlemagne, son illustre prédécesseur, avait faits aux évêques de Rome et dont ils avaient abusé, au préjudice de leurs devoirs spirituels et des intérêts des peuples placés sous leur autorité. » Que de chemin parcouru depuis le jour où le pape Pie VII était venu sacrer Napoléon ! Cette spoliation était odieuse ; c’était bien la force opprimant la faiblesse. Elle avait un caractère d’ingratitude qui révolta les plus disposés à tout approuver, à tout admirer. Je dois cette justice au conseil d’État qu’il en fut très visiblement affecté. M. Regnaud de Saint-Jean d’Angély lui-même, malgré son hostilité habituelle contre la puissance ecclésiastique, se montra très sévère pour un acte qui révoltait ses sentimens d’équité et de modération.

Pie VII avait répondu, le 17 mai, par une bulle d’excommunication, au décret qui le dépouillait de ses États. Cette bulle qui sans nommer personne, atteignait à la fois les auteurs, fauteurs et complices de l’usurpation, se ressentait de l’indignation qui